[Appel d’offre 20 ensileuses] Des concessionnaires plutôt sceptiques

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[Appel d’offre 20 ensileuses] Des concessionnaires plutôt sceptiques

Depuis 2006, Pierre Prim, président du Sedima, est installé dans une concession de matériels agricoles avec 5 associés et est double actif agricole. Son parcours professionnel compte également des étapes dans le milieu bancaire, coopératif (réseau Cuma) et industriel (constructeurs).

La Rédaction d’Entraid’ a interrogé Pierre Prim, président du Sedima (syndicat des distributeurs d’agroéquipements), au sujet du projet d’appel d’offre pour un achat groupé de 20 ensileuses à destination des cuma des Pays de la Loire, de Normandie et de Bretagne. Rencontre.

Entraid’: que pense le Sedima de ce projet d’appel d’offre?

Pierre Prim: Nous sommes dubitatifs, car si l’esprit de grouper les besoins pour peser sur les prix peut sembler pertinent, il convient de contextualiser les choses face à la nature du marché. Ce type de procédé est commun dans le domaine des Travaux Publics, pour un achat de pelles ou d’autres machines, mais il y a 25 à 30 acteurs qui bataillent sur ces marchés. Se grouper pour peser sur les prix et avoir des conditions intéressantes est donc pertinent.

En revanche, il en est tout autre pour le micro-marché des ensileuses. On compte 2.000 à 2.500 machines vendues annuellement dans le monde (269 machines en France sur la campagne 2015-2016 selon Axema) et les deux acteurs principaux de ce marché, Claas et John Deere, réalisent à eux deux près de 85% des ventes. Il n’est donc pas évident que grouper les achats d’ensileuses permettra de peser sur le prix d’achat. De plus, derrière cette vente, il y aura 20 reprises à faire d’un coup. Or, le marché de l’ensileuse d’occasion est lui aussi assez fermé. Le risque est énorme, donc la valeur de reprise du lot sera plus faible (qu’un cumul des reprises à l’unité, NDLR).

Enfin, on connait également la marge des concessionnaires dans les ventes de matériels neufs: 1,6% en moyenne (chiffre Sedima 2018). Il n’y a donc pas de gros gains à réaliser sur cette partie. Et quid du SAV? Il est raisonnable de craindre qu’un distributeur, qui n’a pas fait la vente, se montrera moins réactif pour les dépannages. Hors, un maïs qui est bon à ensiler ne le sera pas dans 5 jours, tout retard d’intervention dégrade donc la qualité du chantier. On peut aussi se demander si ce même distributeur avancera les frais de garantie ou s’ils seront refacturés au client.

En conclusion, je vois un risque de perte sur le rendement économique final ainsi que sur la qualité du chantier.

A lire sur cette thématique: Un appel d’offre pour un achat groupé de 20 ensileuses dans l’Ouest.

Entraid’: voyez-vous dans ce projet une remise en cause du modèle de vente des agroéquipements?

Pierre Prim: Notre profession existe depuis les débuts de la machine agricole, avec l’idée d’avoir un distributeur entre l’industriel et le client final. Il est parfois vu comme un parasite qui prend sa marge, mais nous, nous savons la valeur SAV qu’il apporte.

Les machines agricoles sont de plus en plus grosses et de plus en plus performantes. Elles doivent donc être remises en service de plus en plus vite en cas de panne, car le préjudice d’un arrêt de chantier est par voie de conséquence de plus en plus important.

Tous les modèles sans exceptions tombent en panne à un moment ou à un autre et les agriculteurs ont besoin d’un opérateur capable de les dépanner 7 jours sur 7.

Je ne suis pas inquiet sur l’avenir du métier.

« Etre concessionnaire aujourd’hui, c’est exercer 5 métiers différents », explique Pierre Prim, « réparateur, fournisseur de pièces détachées, vendeur de matériels neufs, vendeur de matériels d’occasion et agent de location. »

Entraid’: peut-on en déduire que, demain, le distributeur ne sera voué qu’au SAV? Quelle(s) évolution(s) du métier présentez-vous?

Pierre Prim: Aujourd’hui, être concessionnaire, c’est exercer 5 métiers simultanément: réparateur, fournisseur de pièces détachées, vendeur de matériels neufs, vendeur de matériels d’occasion (3 fois plus de ventes de matériels d’occasion que de neufs aujourd’hui en France) et opérateur de location. La marge réalisée sur la vente de matériels neufs permet souvent de financer les pertes liées à la main-d’œuvre de l’atelier. Il faut donc insister sur le fait qu’au final, si les 2 ou 3 acteurs du marché (de l’ensileuse) récupèrent la marge de la vente, il y a un risque que les distributeurs doivent facturer davantage l’entretien des machines.

Il faut remettre la France sur les rails de la compétitivité, tous les acteurs de la filière doivent se serrer les coudes sur cette thématique mais pas n’importe comment. Si on s’engage sur cette voie, avec des sociétés de services, cela aura un coût et je ne suis pas certain que cela soit une bonne chose pour la rentabilité globale de l’agriculture française.

Mais je ne suis pas inquiet sur l’avenir du métier, c’est l’agriculteur qui a les clés. Tout repose sur lui et le distributeur s’adapte.

Notre métier évolue constamment. Demain, avec la généralisation des nouvelles technologies, la technicité de notre profession va encore augmenter, avec un vrai défi sur le recrutement. Il y a une réelle montée en puissance de la main-d’œuvre, donc de son coût. Il y a 30 ans, on embauchait des CAP pour de la soudure et de la mécanique, aujourd’hui, on se tourne davantage vers les BTS ou BAC+3 et demain, sans doute, vers des BAC+5 pour tout ce qui concerne l’électronique et l’intelligence embarquée.