Bénévoles non-agriculteurs: légalement, le “coup de main” n’existe pas

Partager sur

Bénévoles non-agriculteurs: légalement, le “coup de main” n’existe pas

Le Domaine Sontag, en Lorraine.

Six mille euros… ça fait cher du coup de main. C’est pourtant la somme dont devra s’acquitter Claude Sontag, viticulteur sur 4ha dans l’Auxerrois, après une mobilisation amicale pour ses vendanges, suite à un incendie lui ayant fait perdre son chai, son matériel...et 20000 bouteilles. Mais pourquoi?

“Lâchez lui la grappe”, titrait récemment le Canard Enchaîné à propos de la situation de Claude Sontag, viticulteur renommé à Contz-les-Bains (Moselle).

Le 15 juin 2018, un incendie se déclarait dans l’un de ses hangars, détruisant son chai, une partie de son matériel et 20000 bouteilles entreposées (soit quasiment une année de récolte).

Après avoir réussi, avec son entourage, à remettre en route ses moyens de production, proches, amis, voisins et clients se mobilisent pour des “vendanges solidaires”.

Dénouement heureux? L’histoire n’est pas finie. Un an après, à l’automne 2019, Claude Sontag reçoit une demande de régularisation de 6000€ de la part de la MSA pour ces travaux.

Que s’est-il passé? Pourquoi la MSA ne prend-elle pas en compte le contexte et l’histoire de l’exploitation?

Le “coup de main”: spontané ou pas?

Didier Leduc, directeur de l’action sociale au sein de la MSA Lorraine, explique “qu’en termes de législation, le coup de main n’est pas prévu.”

En pratique, c’est le degré de spontanéité qui va permettre de le définir. Et cette définition est très restreinte : “on va donner un coup de main en cas d’urgence, quand il y a divagation d’animal ou bien qu’un toit s’envole” précise Didier Leduc, mais dès qu’un minimum d’organisation entre en jeu (ne serait-ce qu’un rendez-vous), les tâches effectuées peuvent être requalifiées en contrat de travail.

La MSA sera d’autant moins clémente que des solutions jugées simples existent pour déclarer des salariés rapidement, avec des allègements de cotisation (du type Tesa).

Claude Sontag, pour sa part, indique qu’il avait interrogé la MSA par téléphone sur la nécessité de déclarer les embauches, sachant que les bénévoles ne souhaitaient pas être payés. Il aurait reçu une réponse négative mais en l’absence de trace, ne peut le prouver formellement.

A lire également: « Les ‘vendanges touristiques’ autorisées dans un cadre légal clarifié »

La MSA anticipe des risques réels

Ce que craint la MSA? L’accident.

Les personnes peu habituées aux exploitations agricoles connaissent peu les risques professionnels sur ces sites. Et des risques, il y en a, en raison de la présence de machines et de bêtes sur les exploitations agricoles en général.

“La responsabilité d’employeur, quand il est reconnu comme tel, peut être vite engagée dès qu’il y a un accident”, explique Didier Leduc.

”Et les victimes le demandent car c’est la seule façon pour elles d’être indemnisées. Combien de fois nous sommes-nous retrouvés avec des situations dans lesquelles des chefs d’entreprise ont mis en péril leur exploitation parce qu’il fallait indemniser une victime, rembourser l’ensemble des frais de soins, etc. Il y a l’aspect financier, mais je ne vous parle pas de l’aspect psychologique. Pour les victimes et pour ceux qui se sentent ensuite coupables.”

A lire également à propos des coups de main, entre agriculteurs cette fois: « [Gérer les pics d’activité] L’entraide et ses risques »

Le cas de monsieur Sontag

Le contrôle sur l’exploitation de monsieur Sontag a été mené par la Direccte*. “Nous ne savions pas qu’il avait été victime d’un sinistre auparavant”, concède Didier Leduc. “Ce contrôle a été effectué dans le cadre d’une opération bien plus vaste menée dans le département de la Moselle, “décidée par le procureur et le Préfet”, poursuit-il.

“Ce sont des comités opérationnels départementaux anti-fraude, pour s’assurer, dans plusieurs secteurs d’activité, qu’on ne fasse pas appel à de la main d’oeuvre” (non déclarée). Chez ce monsieur, c’est tombé par hasard,” avance-t-il encore.

Sur le montant (plus de 6000€): “il s’agit de la simple application sans pénalité, juste de rétablir les droits et obligation des uns et des autres par rapport aux heures effectuées. »

Alors que l’on évoque la forte tradition d’entraide du le secteur agricole, Didier Leduc approuve, mais nuance: “Oui, ça fait partie du monde agricole. Mais il y a aussi des exploitants qui déclarent toutes les personnes sur leur exploitation, et qui pourraient trouver à juste titre inéquitable que certains déclarent et d’autres ne déclarent pas.”

Claude Sontag indique pour sa part qu’il s’agit “d’une très grosse somme pour mon exploitation. Ils (les services de la MSA, avec lesquels il a eu un rendez-vous le 15/01/202, ndlr) m’ont mis un échéancier. C’est une histoire qui me fatigue énormément. Je vais laisser tomber parce que je n’ai pas envie d’aller au tribunal, sinon mon travail en pâtirait.”

Un travail qui, malgré toutes ces difficultés, porte ses fruits: les vins de Claude Sontag continuent à être récompensés et appréciés des connaisseurs.

*Direction régionale des Entreprises, de la Concurrence, de la Consommation, du Travail et de l’Emploi


En pratique:

  • Le coup de main bénévole (issu de non-agriculteurs) n’existe pas dans ce cadre. En cas de contrôle il sera requalifié en contrat de travail.
  • Garder trace écrite de toutes les interactions avec l’administration, même s’il s’agit de demander confirmation d’une réponse reçue par téléphone.

A lire également, dans la rubrique « Ai-je le droit…? »: « La cuma a-t-elle le droit de faire appel à un voisin pour appuyer les adhérents sur un chantier?«