Le cannabis thérapeutique aiguise les appétits

Partager sur

Le cannabis thérapeutique aiguise les appétits

La production de chanvre regroupe pas moins de 1500 producteurs en France.

Pour produire du cannabis thérapeutique "made in France", "on a tout ce qu'il faut, il faut juste avoir les autorisations pour démarrer": au salon de l'agriculture, l'impatience des professionnels est palpable, à quelques mois d'une première expérimentation sur 3.000 patients dans le pays.

Au sein du « village » des semenciers, certains acteurs profitent du salon pour une opération séduction. Confiture au chanvre, dégustation de graines vantant leur apport protéiné, lait relaxant au CBD (cannabidiol, la molécule non psychotrope du cannabis thérapeutique, ndlr): loin des volutes de fumée, les projecteurs sont braqués sur les utilisations très variées de la plante.

Mais hormis ces applications « bien-être », c’est surtout l’usage médical qui intéresse.

Les premiers traitements sous forme d’huile de cannabis ou fleurs séchées doivent être distribués dès septembre à 3.000 patients souffrant de cinq types de maladies ou d’affections graves – certaines formes d’épilepsies, de douleurs neuropathiques, d’effets secondaires de chimiothérapie, de soins palliatifs ou de scléroses en plaques. Mais la production sera, dans un premier temps au moins, étrangère: de quoi frustrer le monde agricole.

« Il faut absolument qu’on soit en capacité au niveau français de mettre en place cette nouvelle filière » thérapeutique, martèle le député LREM de la Creuse Jean-Baptiste Moreau, en visite sous sa nouvelle casquette de rapporteur général de la mission parlementaire sur les usages du cannabis, lancée fin janvier.

A l’heure actuelle, la loi française empêche toute production médicale. Impossible de cultiver des plants de cannabis contenant plus de 0,2% de THC – tétrahydrocannabinol, molécule psychotrope du cannabis, à l’effet planant, ndlr – et d’en récolter les fleurs.

Une interdiction dont InVivo, l’un des premiers groupes coopératifs agricoles français, espère s’extraire: il a déposé une demande d’autorisation à l’Agence du médicament (ANSM) depuis deux semaines, pour bénéficier d’une exception à titre expérimental.

« Globalement, il va nous falloir 18 mois pour s’assurer que la plante a une composition standardisée et qu’on a un médicament au sens pharmaceutique du terme », assure Yves Christol, directeur général d’InVivo Food & Tech. Il est prêt à investir 10 millions d’euros et compte développer une variété spécifique pour chaque pathologie ouverte à la prescription.

Cannabis : production agricole

Le groupe souhaite « prendre le relais des importations dans deux ans », lorsque l’expérimentation du cannabis thérapeutique prendra fin, puis conquérir le marché mondial grâce au développement génétique de variétés à usage médical, une innovation qui garantit le caractère identique des plantes.

A terme, les cinq indications thérapeutiques autorisées par l’ANSM représentent « environ 300.000 patients » en France, selon le groupe. Pour leur assurer une production d’environ un gramme par jour, « on a besoin de sept hectares, soit un seul centre commercial », assure M. Christol.

InVivo souhaite former pour cela « un consortium qui va de la graine au patient », rassemblant divers acteurs publics et privés, dont l’Institut national de la recherche agronomique (Inrae). Les cultures, ne seraient pas menées sous serre ou en plein champ, mais « uniquement en bâtiments ».

Et le groupe n’est pas le seul sur les rangs: le département de la Creuse veut également devenir un « pôle d’excellence », capable de fournir du cannabis thérapeutique.

Mais au sein de la filière, la modification indispensable du cadre légal fait figure d’arlésienne. En Maine-et-Loire, le semencier Hemp It compte déjà dans son catalogue des graines permettant de faire pousser des plants de cannabis illégaux. Depuis deux ans, il réclame d’expérimenter, « sans aucun retour » des autorités, soupire son président, Jacques Martin.

Après avoir fait voter l’expérimentation du cannabis thérapeutique en tant que député, « Olivier Véran est aujourd’hui ministre de la Santé, donc normalement cela devrait aider », espère Nathalie Fichaux, directrice d’InterChanvre, l’interprofession qui rassemble les 1.500 producteurs de chanvre.

Les acteurs français s’impatientent, d’autant que la concurrence internationale a plusieurs longueurs d’avance. Soumis à une législation plus souple, l’américain Tilray et les groupes canadiens comme Canopy Growth et Aurora ont des années de savoir-faire. D’autres challengers, comme le hollandais Bedrocan ou le britannique Emmac Life Sciences, ont également des vues sur le marché hexagonal.

Face à ces offres, une production française garantirait « un prix accessible », avance M. Christol, en pointant les écueils des cas allemands et italiens. Après une phase d’expérimentation comme en France, les producteurs étrangers ont avalé le marché thérapeutique de ces pays et ont fortement relevé leurs tarifs.

À LIRE AUSSI :

Un temps délaissé, le chanvre revient par la grande porte du BTP