L’insécurité juridique du travail à façon «intégral»

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L’insécurité juridique du travail à façon «intégral»

Les spécialistes du droit rural réfléchissent aux moyens juridiques de garantir plus de transparence dans le développement du travail façon, réalisé parfois de manière quasi-intégrale dans certaines exploitations.

Le développement du travail à façon, effectué parfois de manière intégrale, soulève moult questions juridiques et même politiques.

Le développement du travail à façon est une réalité de plus en plus visible. Environ deux tiers des exploitations ont recours aux services de prestataires, ETA ou cuma. Souvent, cela concerne une partie des travaux de mise en culture. Cette délégation correspond en général à une démarche économique dûment réfléchie qui évite d’investir soi-même dans des équipements coûteux.

Cependant, rien n’est spécifiquement prévu sur ce sujet dans les textes juridiques. Or cette pratique qui se développe est maintenant mise en œuvre de façon intégrale dans certaines fermes dont l’exploitant en titre n’en a plus que le nom.

Jusqu’à la gestion administrative

En effet, certains prestataires vont même jusqu’à prendre en charge la gestion administrative en réalisant eux-mêmes la déclaration PAC. On rencontre ainsi des propriétaires qui préfèrent confier tous les travaux culturaux à un entrepreneur plutôt que de louer à un jeune agriculteur. Economiquement, ils jugent plus intéressant de garder le bénéfice des aides économiques (DPB) et les recettes liées à la vente des produits agricoles, que de louer. Par ce biais, ils gardent la maîtrise du foncier contrairement aux dispositions du bail rural qu’ils jugent trop contraignantes.         

Pratique à risques

Attention: certains objections juridiques peuvent toutefois être formulées à l’intention des celles et ceux qui délèguent ainsi la totalité des travaux à un tiers. Il existe en effet un risque de requalification de la prestation intégrale en bail rural dans la mesure où le prestataire jouit d’une autonomie totale. Pour éviter ce risque, il convient de formaliser le contrat d’entreprise avec une facturation régulière. Les risques sont plus aigus encore lorsque le bénéficiaire de la prestation à façon est preneur. Le droit de préemption de celui-ci peut être alors contesté dans la mesure où il est prouvable que le fermier en question ne participe pas aux travaux de l’exploitation «de façon effective et permanente» comme cela est prévu dans le code rural. Dans le même esprit, le renouvellement automatique du bail et la faculté de céder le bail dans le cadre familial peuvent être remis en cause.

Une agriculture sans agriculteurs?

Ce phénomène qui prend de l’ampleur interpelle le monde agricole. D’ores et déjà, des sociétés sont sur les rangs pour cultiver ainsi des milliers d’hectares. De cette façon, les obligations relatives au contrôle des structures et aux autorisations administratives passent à la trappe. Un tel scénario joué à grande échelle susciterait forcément un impact considérable sur l’emploi local et la vitalité des territoires. Dans ce contexte, les juristes ruraux sont réservés sur la viabilité du registre des actifs agricoles officialisé en 2017, censé encadrer ces pratiques. Rappel: le principe de ce registre est de recenser les agriculteurs «effectifs» qui conservent réellement la maîtrise de la production.

Un contrat de prestation de services

Les spécialistes du droit rural pencheraient plutôt sur la mise au point d’un «contrat spécial de prestation de services agricoles» qui serait suffisamment détaillé entre les deux parties (contenu des travaux, planning, parcelles concernées, montant de la prestation…). Ce contrat, porté à la connaissance des différentes institutions (MSA, DDT, chambre, ASP…), assurerait une plus grande transparence dans ce domaine. Avec une limite clairement fixée: en cas de recours au travail à façon intégral, le donneur d’ordre perdrait alors son statut d’exploitant!   

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