[Management] L’humour pour régler les conflits

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[Management] L’humour pour régler les conflits

Autoportrait de Pierre Samson, illustrateur bien connu des lecteurs d'Entraid.

Entraid publie dans son numéro de mars 2018, un article sur la puissance de l’émotion et de la convivialité pour faire avancer les groupes et dénouer les situations de crise. Pierre Samson, illustrateur pour Entraid, évoque la manière d'utiliser l’humour pour dénouer les situations complexes qui ne manquent pas chez les agriculteurs qui travaillent en groupe.

«L’humour  c’est comme un logiciel: soit on l’a déjà dans la machine, soit il faut l’installer et là, c’est pas toujours gagné!», dixit l’illustrateur Pierre Samson. «Mais dans les deux cas, cela se cultive, poursuit-il, ce qui devrait parler aux gens de la Terre. Pour rester dans la métaphore informatique, il faut constamment faire des mises à jour sous peine d’obsolescence. L’humour ‘pétomane’ du 19e siècle s’est diversifié au point de devenir ici une thérapie hospitalière ou là, une pratique de management des conflits. Le dessin de presse et d’humour est une veine que j’explore avec délectation depuis plus de quarante ans.»

Que permet l’humour dans une situation de conflit?

Pierre Samson: Il faut déjà arriver à le faire accepter. Quand le conflit est fort, un trait d’humour, disons une plaisanterie, peut être pris pour une agression, c’est une question de dosage et d’à propos, bref d’intelligence. il n’existe hélas, pas de recette genre, «la bonne blague qui va détendre tout le monde». Il faut aussi savoir que l’humour en ce qu’il suppose de savoir rire de soi ou de concevoir le second degré, n’est pas la chose la plus partagée du monde. Le fait de ne pas comprendre l’humour peut parfois faire se rétracter l’interlocuteur dont on cherche la connivence. Le plus efficace dans une prise de parole est de commencer, me semble-t-il, par poser sur soi une certaine distance ironique avant de tenter sur ce mode un récit des tensions. Quand on rit de soi, on trouve très vite le bon dosage!

En quoi l’humour vous aurait-il permis de résoudre des situations ?

P.S. : Je me suis retrouvé une fois devant une commande: le patron d’un super marché de Toulouse m’a demandé de faire la caricature de tous ses employés ayant vingt ans d’ancienneté, soit l’âge de l’établissement et d’en faire un tableau qu’il voulait leur offrir. Ils se sont sentis humiliés par cette initiative. J’ai donc inversé la projet et commencé par le patron, puis les chefs de rayon, et descendu la pyramide sociale: le fait de pouvoir rire du supérieur hiérarchique les décidait à accepter de figurer dans la chaîne.
Dans un autre registre, la publication d’écrits et de caricatures parfois très «à charge» dans le trimestriel politique Satiricon aurait très rapidement pu se terminer en eau de boudin si, en plus d’une rigueur dans l’information, il n’y avait eu une bonne dose d’humour qui désamorçait les rancœurs et permettait aux épinglés de ne pas se sentir lynchés par un tribunal populaire: l’humour ne juge pas.

Le rire est sa seule sanction. Il exclut de fait la haine et la vengeance. Des années plus tard, une personnes qui n’avait pourtant pas été ménagée reconnaissait: «Vous étiez vachards mais vous aviez l’élégance de faire rire.»

S’agissant de mes dessins de presse à Entraid, je me suis efforcé de ne  jamais trahir ce en quoi je croyais, surtout quand, sur la chasse, les produits dits phytosanitaires, la production intensive, l’écologie…,  je le suppose, je n’étais pas vraiment en adéquation avec une  partie du lectorat.

C’est là  le challenge: faire admettre un point de vue différent.  L’humour, la surprise du décalage et le plaisir que l’on peut en tirer, sont dès lors des biais beaucoup plus efficaces qu’un credo asséné. Séduire plutôt qu’affirmer. Faire sourire, c’est déjà convaincre l’autre d’entrer dans un jeu commun.

Vous est-il arrivé à l’inverse de vous dire: «Cette fois, ce n’était pas la bonne manière d’aborder ce sujet»?

P.S.: Oui, à propos de la religion. Ancien enfant de chœur, pensionnaire des écoles libres, puis employé des Jésuites, j’ai développé avec le religieux une relation, disons, critique. La perte récente de quelques amis dessinateurs n’a pas arrangé les choses…  Quelques dessins sur le pape ont heurté l’opinion de lecteurs qui me l’ont écrit… avant de se désabonner du journal qui les avait publiés. «Pas plus de deux Papes par an», m’a suggéré la direction .

La croyance religieuse est redevenue en quelques décennies un sujet presque intouchable et l’aborder nécessite de revoir ses propres angles de réflexion et oblige à se renouveler. Ce qui somme tout est plutôt excitant. Mais ce n’est pas nouveau. Il n’y a qu’a relire ou revoir le Nom de la Rose: le rire est l’instrument du Diable! Il semble –bien que le Diable ait disparu– qu’il le soit toujours.

Y a-t-il des sujets ou des situations «interdits à l’humour»?

L’humour n’a ni place assignée, ni frontières tracées, heureusement. Mais on n’est pas obligé de rire tout le temps.

Ce qui est affligeant, c’est l’humour sans humour des stakhanovistes du rire, ceux dont  le trait convenu ne dérange personne, pas même les poncifs, et ne se repose jamais. Ce rire-là conforte les pouvoirs en évitant de questionner. Alors que la tache première de l’humour reste de garder mouvante, par la corrosion du rire ou de façon homéopathique, notre perception de l’ordre du monde.

On découvre aujourd’hui que les animaux (corvidés, grands singes…) partagent aussi le rire et le sens de la plaisanterie avec les hommes!  Si l’ordre politique ou moral parvient un jour à faire interdire l’humour, on pourra toujours se poiler avec les freux. Parce que pour ce qui est des chimpanzés, il est à craindre qu’ils aient entre temps disparus et, s’il en reste, dans leurs enclos, ils n’auront pas trop la tête à la gaudriole. J’oubliais: l’humour est aussi un peu désespéré.

A retrouver dans la rubrique «Travailler ensemble » du mensuel Entraid de mars: «Emotion, humour, fête… des armes de construction massive»

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