Le feu de Lubrizol laissera des traces dans l’élevage local

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Le feu de Lubrizol laissera des traces dans l’élevage local

Les rendements s’annonçaient plutôt corrects, les conditions climatiques pour la récolte étaient proches de l’idéal. Pourtant, pour plusieurs éleveurs de Seine-Maritime, l’ensilage 2019 n’aura rien eu d’une campagne sereine.

Que la consommation du fourrage récolté depuis l’incendie de l’usine Lubrizol soit autorisée ou interdite, les conditions de récolte perturbées auront des conséquences durables, notamment sur le travail d’astreinte et le quotidien des éleveurs, déjà difficile.

Tout est loin d’être rentré dans l’ordre pour ses adhérents, mais la cuma des Hauts Plateaux a repris le cours, presque normal, de sa principale activité automnale. Depuis l’incendie de l’usine Lubrizol, l’avancée de ses ensilages n’aura finalement été suspendue qu’une journée, car le groupe qui récolte chaque année un millier d’hectares de maïs fourrager a pu réorganiser son planning pour travailler là où cela était resté autorisé. Depuis, l’interdiction de récolter a été levée, mais pas celle de consommer.

Deux ensileuses pour 45 adhérents et 1000 ha

Ce lundi 7 octobre, Evert Herteleer accueillait l’une des deux ensileuses (et un tracteur tasseur) de la cuma pour son chantier d’une vingtaine d’hectares. « Nous devons être toujours proche du bon stade de 32 %MS », rassure l’éleveur qui avait initialement prévu son chantier trois jours plus tôt. Ce n’est donc pas tant ce petit décalage de date que le contexte qui plombe l’ambiance autour de l’automotrice et du silo. Evert et Maai Herteleer font en effet partie de ces éleveurs seinomarins qui ont récolté leur fourrage, sans savoir s’ils pourront effectivement l’utiliser, sachant que le coût d’une telle journée se compte en milliers d’euros. Dans l’élevage d’une cinquantaine de vaches, le maïs a perdu un peu de terrain depuis quelques années face à l’herbe et aux dérobées. Néanmoins il reste un fourrage stratégique, représentant toujours 50% de la ration hivernale.

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Ce qui rassure l’éleveur, c’est qu’il a l’habitude de prévoir du stock. Lui ne craint pas la pénurie mais il a dû réorganiser son corps de ferme dans l’urgence pour délimiter un silo.

« La préfecture a effectué des prélèvements pour réaliser des analyses », relaye le président de la cuma des Hauts plateaux, Jean-Michel Lefèvre. Les résultats et les décisions qui en découleront sont espérés pour le 11 octobre. En attendant, la situation est figée et les éleveurs ont dû s’adapter. Pour la cuma, il restait environ 200 ha à gérer. La crainte de ne pouvoir réaliser toutes les récoltes en plante entière au bon stade est passée. « Un éleveur va réaliser du maïs épi, mais c’était un choix qu’il avait fait en amont », poursuit Jean-Michel.

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A l’instar de la récolte de l’EARL des Chênes rouges, les chantiers ont pu continuer à des maturités proches des objectifs, le rafraîchissement du climat ayant évité une évolution trop rapide des cultures en cette période perturbée.

L’EARL des Chênes rouges de Maai et Evert fait donc partie des derniers élevages à ensiler. «Nous sommes sur un maïs après RGI, sur des parcelles tardives», souligne l’éleveur qui a toujours été adhérent à la cuma dont il vante la banque de travail et l’organisation : «avec une réunion de planification de la campagne assez tard, on peut décider de nos dates au plus près du démarrage pour intervenir au bon moment.» Et elle aura prouvé cette année qu’elle sait aussi s’adapter.

Une exploitation avec du stock et sans pollution visible

 «Ici, nous sommes vraiment en bordure de la zone d’interdiction et nous n’avons pas été touchés par une pollution visible dans les champs.» Evert Herteleer se montre donc plutôt optimiste quant à la probabilité de pouvoir utiliser cette récolte 2019. Maai reste inquiète devant les factures qui arrivent et les complications qui s’annoncent pour toute la campagne. «Une partie du silo est sur la terre, donc on risque d’avoir plus de butyriques, des mammites…» illustre-t-elle. Son mari appuie : «Chez nous, la plus grosse contrainte a été de faire de la place pour ce deuxième silo.»

L’urgence pénalise l’organisation, la sécurité et la qualité

Avec la récolte de la campagne précédente, Evert vise une couverture de ses besoins jusqu’en janvier et il s’organise pour remplir les silos en cours d’utilisation, ce qui est impossible cette année puisque les récoltes effectuées depuis le 26 septembre sont confinées. «J’ai dû bouger les murs», pour improviser dans l’urgence un espace de stockage pas vraiment idéal pour réaliser le tas dans les règles de l’art. Le salarié de cuma à la manœuvre confirme qu’avec la hauteur impressionnante à laquelle il doit monter son silo, impossible d’approcher les bords pour tasser convenablement.

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La hauteur et la configuration du silo ne permettent pas de tasser dans les règles de l’art.

D’autres menaces à gérer

Son collègue aux commandes de l’ensileuse souligne : en plus de ces incertitudes, « les éleveurs jettent leur lait tous les jours. Ils n’avaient vraiment pas besoin de ça !» La décroissance des surfaces de maïs à ensiler en témoigne. «On doit avoir encore perdu 10% de la surface cette année par rapport à la dernière», évalue Didier Tribouillard. Son président confirme : les élevages qui se vident de leur cheptel ne sont plus des cas exceptionnels. Pour la cuma des Hauts plateaux, des adaptations se profilent. Les responsables se posent déjà la question de l’intercuma pour maintenir le prix et la qualité du service. «Nous sommes sur une zone tardive, les ensilages démarrent mi-septembre, cela nous intéresserait de trouver un groupe dans une région plus précoce pour aller faire travailler une ensileuse.» Pour l’instant aucune démarche initiée en ce sens n’a encore abouti.

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