Quand l’administration impose le numérique…

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Quand l’administration impose le numérique…

Les agriculteurs sont contraints par l’administration publique à la dématérialisation des procédures de déclarations. Un passage obligé susceptible de dérouter un certain nombre d’agriculteurs. (© Cheick Saidou, ministère de l'agriculture)

Au cours d’une conférence organisée par l’Institut de droit rural de Poitiers le 23 janvier, le rapport entre droit et nouvelles technologies a été longuement questionné et notamment la transition numérique prescrite par l’administration.

Le numérique est partout! Y compris dans les exploitations agricoles avec l’émergence d’outils connectés ou de robots, et l’informatisation des données de chaque ferme. Il s’insère aussi dans les relations avec l’administration agricole. Exemple avec les télé-déclarations PAC obligatoirement effectuées par internet depuis 2016, sur le site Telepac.

Un «passage en force» évoqué lors du colloque de l’Institut de droit rural de Poitiers, qui pose question dans la mesure où aucune alternative «papier» n’a été mise en place. Y a- t-il une entorse au principe de continuité d’accès des services publics? Les exploitants situés dans les zones blanches ou ceux qui ne disposent pas tout simplement d’ordinateurs, sont en tout cas défavorisés. Ils n’ont d’autres choix que de solliciter un prestataire extérieur payant. Rappel: aujourd’hui, 17% des foyers n’ont pas d’ordinateur à leur domicile et 14 millions de Français se déclarent «éloignés» du numérique…

Erreur déclarative et responsabilité juridique

Les étudiants en droit qui ont présenté leurs travaux sur le sujet, pointent du doigt aussi la question de la responsabilité juridique encourue lors d’une déclaration erronée. Dans ce domaine, aucun droit à l’erreur n’est reconnu en effet! Or, même si elle est non intentionnelle, l’erreur déclarative représente un risque économique considérable. A tel point que quelques coopératives agricoles ont décidé de ne plus proposer désormais le service de déclaration PAC à leurs adhérents. Signalons aussi que les données mises en ligne par l’administration elle-même ne sont pas exemptes d’approximations comme on l’a constaté par le passé sur les relevés photographiques d’îlots.

 

Conférence le 23 janvier à l’Institut de droit rural de l’Université de Poitiers. La généralisation du numérique en agriculture soulève moult questions juridiques.

 

Les bugs du logiciel Osiris

Mais les défaillances techniques les plus retentissantes concernent les retards énormes pris dans le versement des aides PAC du 2e pilier (paiements MAEC et aides bio). Le logiciel Osiris utilisé par l’ASP (Agence de services et de paiements) n’a pas de fait de miracle, bien au contraire. Il est à l’origine semble-t-il des interminables décalages de versement des aides qui ont rendu exsangues de nombreuses trésoreries d’exploitations. Cette situation a motivé en 2019, le recours en justice d’un exploitant au tribunal administratif de Poitiers au titre de la procédure du «référé provision».  Celle-ci permet de recevoir rapidement une avance sur une somme due. Juridiquement, une créance non recouvrée sur l’administration publique, peut faire aussi l’objet d’une demande indemnitaire pour préjudice matériel et moral.

L’insaisissable «Chorus Pro»

Dans la même veine, plusieurs agriculteurs ont été désarçonnés par la complexité du portail Chorus Pro, sur lequel transitent les factures à destination du service public. Pour un certain nombre d’exploitants, le remboursement de la TICPE (taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques) a été une épreuve de patience, tant le maniement du logiciel apparait subtil pour des internautes peu habitués. Certains exploitants ont préféré là aussi recourir aux services de prestataires extérieurs. Contre paiement bien sûr! D’autres, ont carrément abandonné leur démarche de recouvrement…

 

L’avènement, voici une dizaine d’années, du bouclage électronique obligatoire des ovins et caprins, a suscité de la contestation chez les éleveurs.

 

Sentiment de dépossession?

Un sentiment diffus de «dépossession» habite certains agriculteurs désemparés par l’irruption de ces nouvelles liaisons numériques. De surcroît elles tendent à déshumaniser la relation avec l’administration. Dans ce domaine, l’épisode du bouclage électronique des troupeaux d’ovins et caprins en 2010 a mis en relief, un sentiment de défiance vis-à-vis des pouvoirs publics.

Le caractère jugé «intrusif» de cette nouvelle technologie qui s’impose à tous les élevages petits ou grands, a suscité le courroux du collectif d’éleveurs «Faut pas pucer». Pour ceux-ci, il s’agit d’un procédé qui conforte une tendance à la standardisation des élevages. C’est surtout le caractère obligatoire de cette mesure qui a soulevé de vives oppositions, sachant que les récalcitrants s’exposent à des sanctions pécuniaires en cascade avec la suppression des aides ovines et caprines, de l’ICHN, des MAEC.

Certes, la traçabilité est plus facile, de même que la prévention des risques d’épizootie. En revanche, c’est une dépense supplémentaire significative pour les élevages modestes. Désormais, on parle du bouclage électronique obligatoire pour les bovins.

Débat inachevé

Si la dématérialisation des procédures et l’irruption des nouvelles technologie de communication en agriculture, peuvent générer des gains de productivité et de confort de travail, elles suscitent aussi des questions à la croisée du droit, de l’éthique et de la démocratie numérique pour lesquelles le débat public est loin d’être achevé.

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