De l’électricité fermière

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De l’électricité fermière

Jean-Luc Guillaumin : « L’envie de faire quelque chose d’autre, qui pousse vers l’avenir. »

Pour aller plus loin dans leur activité agricole, trois exploitants transforment des effluents d’élevage et des intercultures en électricité. Un projet agricole mais non alimentaire qui complète leur métier et leur donne un second souffle.

Pendant six ans, ils ont parcouru la France et l’Allemagne pour visiter des installations et se faire une idée de ce qu’ils voulaient comme de ce qu’ils ne voulaient pas. Julien et Stéphane Deville, deux cousins en Gaec et Jean-Luc Guillaumin (35, 50 et 60 ans) se connaissent de longue date au sein de leurs Ceta : « Nous avons réalisé pas mal d’essais ensemble. » Toujours en train de réfléchir à « comment faire autrement » et, petit à petit, l’idée s’installe : « On arrive au bout. On ne peut pas continuer comme ça. »

Céréaliers en zone intermédiaire, le potentiel est limité à 50-70 q/ha en blé. « Il faut plus de visibilité, des impasses techniques sont apparues, les prix sont soumis à la mondialisation » , constate Jean-Luc Guillaumin. Des économies d’échelle ont déjà été réalisées. Leurs 540 ha sont mutualisés en Sep (société en participation). Celle-ci globalise les achats d’intrants et les ventes de produits puis rétrocède la marge par hectare à chaque entité. Une Snc regroupe le parc matériel et embauche le salarié de Jean-Luc. Elle facture à l’hectare les prestations. Une émulation collective a aussi été trouvée, elle portera ce projet de méthanisation.

Mais jusque-là, les tarifs proposés de revente de l’électricité ne permettaient pas la rentabilité du projet. A l’époque, plus la chaleur produite par le moteur était valorisée, mieux l’électricité était payée. Or, des besoins de chaleur au Theil, à 15 km de Montmarault, il y en a peu. « Pas de recette, pas de projet ! » Finalement, c’est le changement de barème qui déclenche tout ce qui était préparé depuis des années. La ration se précise. Ce sera pour l’essentiel du fumier reçu par échange paille-fumier, du lisier et des cultures intermédiaires. Elles constituent une manière de valoriser les surfaces sans récolte entre la moisson et le printemps.

Deux rations dans l’année

Céréaliers, ils fournissent de la paille à deux éleveurs totalisant 800 animaux et pour lesquels ils réalisent le curage toutes les trois semaines (dans l’idéal), soit un total de 2 400 tonnes par an (bientôt 3 500 tonnes). Toutefois, le fumier n’est pas produit l’été. Une seconde ration est donc mise en place pour la période estivale avec davantage de CIVE (cultures intermédiaires à vocation énergétique) récoltées en ensilage. Il s’agit d’association de graminées et légumineuses (qui fertilisent la culture suivante) : avoine et pois ou luzerne et avoine, seigle ou épeautre. Au total, 200 ha. A ceci, s’ajoutent des issues de céréales (déchets de silos) et du lisier de porc (6 m3 par jour).

Cette « soupe » est broyée et introduite dans le digesteur, cuve circulaire munie d’une bâche hémisphérique et portée à 37-40 °C par la chaleur du moteur. Dans ce milieu les bactéries -les mêmes que celles du rumen et donc présentes dans le fumier- se mettent au travail. Elles découpent les molécules et produisent un gaz, dit biogaz, essentiellement composé de gaz carbonique et de méthane. 

Ce dernier permet le fonctionnement d’un moteur thermique qui, couplé à une génératrice, produit de l’électricité. De la chaleur est également produite. Elle sert à sécher différents produits selon les opportunités qui se présentent.

Deux à trois heures de travail par jour

Au Theil, le moteur de 250 kW produit l’équivalent de la consommation électrique de près de 300-350 foyers (hors chauffage). Il sera bientôt complété par un second moteur de 250 kW également. Le doublement de la puissance coûtera 850 k€ et nécessitera un complément de ration : glycérine, huile de colza, Cive supplémentaires. Côté travail, l’installation de la méthanisation nécessite 2 à 3 heures par jour ce qui rend indispensable une permanence des associés : « Il y a toujours une petite intervention à réaliser ».

Construit en un an, entre novembre 2016 et novembre 2017, l’installation a nécessité quelques adaptations le temps d’apprendre ce nouveau métier. La qualité des substrats est fondamentale : pas de fumier vieux, Cive récoltées au stade grains pâteux ; la logistique est également déterminante : de trop longs trajets sont coûteux. Les associés se fixent 5 à 7 km comme limite.

Aujourd’hui, les trois associés sont satisfaits. Développant une activité rentable, dotée de tarifs fixes, sous contrat de près de 18 ans, revalorisés chaque année et garantis par l’État. Les trois agriculteurs participent à la transition énergétique, retrouvent de l’autonomie et inventent des solutions agronomiques nouvelles (gestion de l’azote, des graines d’adventices, par exemple)

Ils l’assurent, cette expérience est reproductible. D’après eux, il faut d’abord avoir envie de faire quelque chose d’autre, quelque chose qui pousse vers l’avenir et, bien sûr, avoir envie de travailler ensemble. Pas si compliqué ? 


Cet article est issu du spécial Allier de mai 2019.