Ça chauffe du côté des transitions

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Ça chauffe du côté des transitions

Les agriculteurs doivent tracer leur chemin dans un environnement qui évolue.

Ce qui semble évident à propos de la transition agricole actuelle est le besoin de s’adapter à une évolution climatique, dans un contexte de demandes sociétales et d’ambitions sociales, qui pousse les acteurs agricoles à inventer de nouvelles méthodes de travail.

En 2019, il aura été difficile de suivre une conférence un tant soit peu portée sur les perspectives agricoles sans y entendre parler de transitions agricoles. Le plus souvent, on y associait le terme «climatique». La notion d’adaptation en filigrane. Premier exemple en septembre, chez Sulky. Alors que le fabricant breton dévoile les détails d’une nouvelle gamme de semoirs, le chef de produit Alexis Guilloton dont le job consiste notamment «à analyser des tendances», se montre formel: «Le monde agricole est en transition, c’est une évidence claire. Cela s’illustre par le développement de l’agriculture biologique ou de cahiers des charges tels que ceux de la «Nouvelle agriculture» de Terrena.»

Du climat chez les cuma

Le réseau des cuma ne fait pas plus exception. Si l’Union des cuma des Pays-de-la-Loire prolonge la réflexion en inscrivant les transitions agricoles en haut de l’affiche 2020 de ses assemblées de section, il est déjà possible de remonter à mai dernier. A Clermont-Ferrand, le congrès national du réseau proposait un éclairage sur les démarches collectives dans un contexte de dérèglement climatique qui n’a plus rien d’une vue de l’esprit. A la table ronde, Philippe Pointereau de revenir sur les perspectives dessinées par Solagro, son entreprise associative spécialisée dans les impacts environnementaux de et sur l’agriculture. «Le changement qui s’amorce sera aussi important que ce que l’agriculture a déjà connu dans les années 60.»

Le changement, source naturelle d’inquiétudes

Il y a donc une bonne nouvelle dans le constat. L’agriculture a déjà connu cela. De plus, les groupes sont là pour rassurer, face à l’inquiétude que génère le changement. Dans les scénarios d’évolution «Afterres 2050» que Solagro propose, Philippe Pointereau souligne que «s’ouvrent des opportunités de créer de la valeur ajoutée sur la qualité de l’alimentation, l’autonomie des exploitations ou la production d’énergie.» Les hypothèses ici proposées vont vers moins de consommation de viande et de produits laitiers, un déclin du sucre aussi dans l’alimentation humaine, mais vers une demande accrue pour les légumes, céréales et légumineuses, et plus de fruits aussi. Y a t’il un parallèle à voir avec des changements déjà observés particulièrement dans certains secteurs de la région où la déprise de l’élevage semble s’être accélérée?

Cultures intermédiaires, haies, agroforesterie, cultures associées

La copie rendue par Solagro plaide aussi pour une complexification des systèmes de production avec «une agriculture plus diversifiée» qu’elle ne l’est aujourd’hui et la «multiplication des productions» qui valorisent une parcelle, tandis que «l’allongement des rotations, les itinéraires simplifiés, la lutte biologique…» caractérisent l’agronomie proposée.

A l’échelle inter-régionale, puisque la fédération des cuma de l’Ouest s’est aussi intéressée au changement climatique lors de sa dernière AG, Sarah Colombie (Chambre d’agriculture des Pays-de-la-Loire) souligne que les exploitations devront faire avec moins de précipitations au cours d’une période estivale plus longue. Cela implique «d’adapter nos périodes de semis, de récolte, les choix variétaux, mais aussi de sécuriser les systèmes fourragers avec des techniques, des choix d’assolement qui en tiennent compte.» Elle milite, et l’automne pluvieux de 2019 lui donne encore raison: «finalement, tous les ans, nous sommes confrontés à une année atypique.» Une notion de résilience et de gestion des risques s’introduit.

De la technologie et du groupe

«La transition a bel et bien commencé. Sans toujours le savoir, les agriculteurs sont déjà sur le chemin de l’agroécologie», a t-on pu entendre au congrès national, tandis que dans les groupes, les questionnements fourmillent, les logiques évoluent, les organisations se modernisent et les matériels apparaissent. Car la technologie apporte des solutions pour lever des freins. Une transition actuelle «est de passer à une agriculture numérique qui emploie des méthodes que l’évolution productiviste a laissé de côté», résume Alexis Guilloton. Les groupes, qui constituent toujours un levier de réussite et de sécurité n’ont plus qu’à s’en emparer pour continuer d’avancer.


Travailler ensemble, une envie à travailler

Entretien avec Christophe Perraud, secrétaire général de la Fncuma. Propos recueillis par Ronan Lombard

Pourquoi parle-t-on ici de transitions au pluriel? Il n’y a pas que le climat qui modifie l’activité agricole et des cuma?

C’est vrai que la donnée climatique tient une place importante dans les causes de transition. Là, il ne faudrait plus parler de transition mais de rupture. La tendance du monde agricole était de donner l’impression que l’impact du changement n’était pas si important que cela. Force est de constater que la réalité nous a rattrapés cet été, avec des cas de vigne, une culture pérenne, qui ont grillé. C’est quelque chose qui parle. Nous arrivons sur un butoir, nous devons prendre un virage. Néanmoins le climat n’est pas la seule origine des prochains changements. Pour nos entreprises et nos cuma, il y a aussi la démographie agricole qui fait que dans trois ou cinq ans, notre paysage économique sera différent. Il y a un enjeu fort sur le renouvellement de génération, sachant que les jeunes sont d’accord pour s’engager, à condition que ce soit pour quelque chose qui a du sens pour eux.

Sur la question de la transmission, il y a aussi à réfléchir: comment trouver ensemble des remplaçants, les accueillir collectivement, donner envie de venir s’installer chez nous. Il y a un état d’esprit à créer en ce sens. Certains, dans des régions plus difficiles y sont déjà (*). Pas encore chez nous, bien que localement l’envie de travailler ensemble puisse être déjà développée.

C’est important cette question de travailler ensemble?

La cuma de demain sera un groupe de projets, plus seulement une cuma de tracteur. Elle ne sera pas isolée des autres cuma, des autres acteurs économiques du territoire, ni du reste de la population. En effet, il y a un enjeu énorme de communication et des projets alimentaires territoriaux à développer, où les cuma ont à s’impliquer. Elles ont des pierres à y apporter. Nous parlons de cuma, mais un groupe motivé peut aller au-delà du statut. Les exemples ne manquent pas, sur la vente en circuits courts, sur la production d’énergie…

Sur la question de l’emploi, de la main-d’œuvre salariée accessible aux agriculteurs, elle a aussi à enfiler le bleu de travail, sachant qu’elle pourra aussi parier sur une mise en commun des besoins entre groupes voisins. Dans tous les cas, il y a des cuma d’aujourd’hui qui ont intérêt à se poser des questions si elles veulent avoir un rôle à jouer demain.

* Enquête «Où seront-ils dans 5ans?» à retrouver dans le magazine Entraid d’octobre 2019.

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