“Un jour, les salariés sont devenus patrons et les patrons sont devenus salariés!”

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“Un jour, les salariés sont devenus patrons et les patrons sont devenus salariés!”

Dans cet élevage porcin du Lot, la transmission s'est déroulée entre les agriculteurs et leurs salariés. Une histoire rare!

Un parcours de transmission-reprise d’exploitation particulièrement réussi dans cet élevage porcin, l’EARL des Mirandes II, à Girac dans le Lot.

En 1975, Jean-Noël Lagorse s’installe sur l’exploitation familiale avec ses parents, en polyculture-élevage: tabac pour les feuilles et les plants, vaches laitières et porcs. Au fil du temps, l’exploitation évolue: arrêt de l’activité laitière, puis de la production de tabac. 

En effet, la famille a peu à peu perdu des terres à cause de la pression foncière et a donc choisi de développer son élevage porcin, avec un système naisseur-engraisseur (240 truies) et la fabrication d’aliments à la ferme (FAF). L’engraissement se faisait en partie sur des sites extérieurs. Sur la quarantaine d’hectares de SAU, on trouve principalement du maïs irrigué (25 ha), de l’orge et des prairies. 

L’embauche

A l’aube des années 1990, Jean-Noël s’associe avec son frère et son épouse en Gaec. Le père continue de les aider bénévolement. En 2007, Jean-Noël et Marie-Christine se retrouvent seuls sur l’exploitation suite à un triste évènement familial. Ils décident alors d’embaucher deux salariés agricoles: Myriam et Antoine. 

Puis, se rapprochant de l’âge de la retraite, ils commencent à penser à la cessation d’activité et à la transmission de leur exploitation: «Pour la transmission, nous avons fait appel au RDI (Répertoire Départ Installation) de la chambre.» 

De là, émerge une véritable réflexion avec comme objectif de céder au mieux leur outil de production. Ils décident alors de redimensionner et réorienter leur activité. En 2013, l’atelier porcin passe à 180 truies en système complet naisseur-engraisseur: «L’engraissement se faisait en partie chez des tiers, mais ce n’était pas rentable.» Jean-Noël déclare également: «J’ai toujours entretenu correctement les bâtiments et le matériel, et su investir quand il le fallait. Je n’ai pas tiré sur la corde.» 

Enfin, d’un point de vue économique et organisationnel, ils ont étudié les modalités de financement les plus intéressantes qu’ils pouvaient proposer à leurs successeurs, ainsi que les structures qui pouvaient les accompagner dans la passation de l’exploitation. 

Deux projets parallèle qui fusionnent

En parallèle, le projet des salariés de reprendre l’exploitation bovins viande de l’oncle d’Antoine n’aboutit pas. Ils commencent alors à envisager le fait de reprendre l’exploitation de Jean-Noël et Marie-Christine: «Pourquoi ne pas s’intéresser aux porcs?! »

De là, naît une réflexion commune, à quatre, pour étudier le projet. Ils font appel à diverses structures de conseil pour les aiguiller au mieux dans leurs choix (centre de gestion, juriste, notaire et ergonome). Le couple réunit l’argent nécessaire: aide JA, prêt vendeur par Jean-Noël et son épouse, Projet Région-FEADER: « Organisation du Travail en Elevage: diffusion d’expériences réussies en Occitanie» et FRI (Fonds Régional d’Investissements). 

C’est ainsi que fin 2014, Myriam et Antoine deviennent chefs de l’exploitation. Et, décision rare: Jean-Noël et Marie-Christine restent sur l’élevage, en tant que salariés à mi- temps, pour accompagner au mieux, pendant quelques temps, les exploitants dans leur nouveau projet. «On était dans l’euphorie du projet. Un jour, les salariés sont devenus patrons et les patrons sont devenus salariés.» Une belle phrase, qui résume totalement la situation! 

Aujourd’hui

L’exploitation fonctionne toujours sur un système complet naisseur-engraisseur avec FAF, avec en moyenne 180 truies. Par ailleurs, le couple d’exploitants est en train de se diversifier en débutant une culture de noisetiers, sur 13 hectares irrigués, et amendés par le lisier des cochons. 

Jean-Noël et sa femme ont officiellement pris leur retraite en 2017 mais continuent d’aider de temps en temps les éleveurs, notamment en assurant leur remplacement quand ils prennent des congés (2 à 3 semaines par an). 

L’organisation du travail fait partie intégrante du mode de gestion de l’exploitation. Le binôme est complémentaire: Myriam s’occupe davantage de la maternité avec les truies et Antoine, du reste de la partie élevage et des cultures. Ils ont un pic d’activité une semaine toutes les cinq semaines (inséminations et mises bas), ainsi qu’un pic de travail en été pour l’irrigation. Par ailleurs, la mise en place d’une nouvelle activité sur les noisettes va leur prendre de plus en plus de temps dans les années à venir (si tout va bien, ils feront leur première récolte à la fin de l’été). Le couple a trois jeunes enfants et s’organise au mieux pour passer un maximum de temps auprès d’eux. 

Nouvelle phase d’embauche

Afin de pérenniser cet équilibre et assurer l’ensemble des travaux, le couple envisage une évolution de la main-d’œuvre sur l’exploitation. Comme Myriam et Antoine le résument: «Il va vraiment falloir réfléchir à embaucher quelqu’un dans la durée…!» (Jean-Noël approuve!). 

Quand Jean-Noël intervient ponctuellement sur l’exploitation, il s’autorise, avec soin et respect, à donner quelques conseils à Myriam et Antoine: «Si je peux me permettre… » mais n’oublie pas que ce sont eux qui ont les décisions finales: «Chacun est à sa place.» 

La bonne entente et la communication sont frappantes au sein de ces deux couples et nul doute qu’elles font partie intégrante de la réussite de ce parcours de transmission-reprise d’exploitation. 

Les dernières phrases de cet article seront celles de Jean-Noël et résument en quelques mots les étapes de ce beau projet. «Si on a envie de transmettre, il faut y mettre les moyens et s’assurer que ça perdure dans le temps. J’ai cédé un outil complètement opérationnel mais avec quelques contraintes, par exemple, le fait de ne pas pouvoir développer l’activité, à cause du manque de terres. Aujourd’hui, je suis fier de voir que l’exploitation existe toujours et qu’elle fait vivre une famille.» 


Aurélie Rivière travaille pour le GIE Elevage Occitanie. Elle écrit cet article dans le cadre du projet “Organisation du travail en élevage: diffusion d’expériences réussies en Occitanie”, un projet financièrement soutenu par l’Union Européenne (FEADER) et la Région Occitanie, et porté par le GIE Elevage Occitanie, le Service de Remplacement Occitanie, la FRcuma Occitanie, l’Association des Salariés Agricoles d’Occitanie, Interbev Occitanie, la chambre d’agriculture de la Haute-Garonne et les JA d’Occitanie.

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