Alcool: l’insidieux compagnon

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Alcool: l’insidieux compagnon

Les risques avec les addictions sont énormes, pour les salariés comme pour les employeurs.(©aekachai - stock.adobe.com)

Quand on évoque les addictions dans les cuma, on parle un peu de téléphone portable, de cigarette, rarement de cannabis. Mais le souci le plus fréquent, profond, insidieux -parce qu'il est aussi culturel-, c'est l'alcool. 

SOMMAIRE
« Il cochait toutes les cases: expérimenté, facile à vivre, autonome, disponible. Un travailleur. » Et pourtant les responsables de la cuma ont dû se séparer de cet excellent salarié en raison de sa consommation d’alcool hors de contrôle. « Les adhérents n’ont pas compris. Certains m’en ont voulu, m’ont traité de fou », confie ce responsable.

Alcool: prise de conscience

L’animateur de la fédération des cuma qui suit ce groupe résume: « Il y a deux facteurs qui déclenchent la rupture du contrat de travail lorsque la consommation d’alcool d’un salarié empiète sur ses activités professionnelles. Soit les responsables prennent conscience de leur responsabilité et des dangers encourus. Soit, s’il y a une équipe de salariés, les collègues, à un certain moment, refusent de continuer à pallier les erreurs. »

Encore faut-il prendre conscience du problème, soulignent ces responsables, confrontés à au problème parfois avec plusieurs salariés d’affilée : « C’est dur de s’en rendre compte, car nous sommes très peu en contact au quotidien. »

Encore plus vrai lorsqu’il n’y a qu’un seul salarié très autonome, comme souvent en cuma. Un faisceau d’indices peut alerter (voir paragraphe « Les signaux d’alerte » dans la rubrique En pratique ci-dessous)

Des risques énormes

Les risques sont énormes, pour toutes les parties concernées. En premier lieu, l’employeur est légalement tenu de protéger ses salariés, non seulement lors de la pratique professionnelle ‘en routine’, mais aussi lors des événements conviviaux autour du travail.Cela concerne autant le salarié «à risque», que ses collègues, qui mettent place des mécanismes de compensation. (Lire à ce propos le témoignage «Ce qu’en pensent les autres salariés», ci-dessous).

Ce n’est pas plus léger pour le salarié. Qui, s’il prend la route en état d’ébriété, se met en danger tout autant que les autres usagers de la route. Comme tout le monde, en cas d’accident grave après trois verres ‘standard’ d’alcool, il est passible de 3 à 5 ans d’emprisonnement, d’une amende de 45 000 à 75 000 euros, d’un retrait de 6 points, d’une suspension ou d’une annulation de plein droit du permis de conduire avec interdiction de le repasser pendant 10 ans, et d’une immobilisation ou confiscation du véhicule.

Et on ne parle des sanctions qu’en cas de blessures, pas de décès.

Enfin, même hors-route, au champ, pour lui-même, les montées et descentes d’automoteurs restent dangereuses, les attelages également… tout comme les travaux à l’atelier. Lesquels, dans les faits, concentrent la majorité des ‘petits’ accidents.

Comment faire, en 6 étapes

L’alcool, en tracteur, en voiture ou à l’atelier, ça finit toujours par « faire mal ». (©Ken – stock.adobe.com)

1 – Addiction ou simples écarts: dans l’immédiat, la première mission de l’employeur est d’éloigner le salarié du danger. Donc de limiter autant que possible l’accès à l’alcool sur le lieu de travail. Et d’identifier les moments de consommation pour les déconnecter des activités ‘à risque’, cataloguées dans le Document unique d’évaluation des risques.La conduite et l’entretien en font partie.

2 – La mise à jour du règlement intérieur est, en parallèle, un moyen simple d’envoyer des signaux forts. Comme d’y introduire la possibilité d’organiser des tests (avec éthylotests), en désignant une personne dans la cuma pour réaliser ces tests. L’inscription au règlement intérieur est obligatoire pour procéder à des tests. Tout comme le fait de laisser au salarié la possibilité de procéder à une contre-expertise.

3 – L’étape suivante (s’il n’y a pas eu de situation de danger immédiat entre temps) consiste à évoquer ce problème entre responsable et salarié. Les responsables de cuma qui l’ont fait ont parfois choisi d’y aller à deux. Car la première réaction est en général le déni, conscient ou non. Il faut donc s’armer de patience et de faits. « C’est un moment très délicat, confirme ce responsable. Nous avons essayé d’être aussi respectueux que possible. C’est une maladie, ce n’est pas de sa faute. Lors de ces conversations, nous lui avons conseillé d’aller voir un addictologue. Ce qu’il a fini par faire pendant un certain temps. »

4 – L’employeur peut aussi envisager une visite médicale avec le médecin du travail en communiquant par écrit les faits constatés et le motif de la visite et en informant le salarié.

5 – Une fois ces discussions passées, si rien n’évolue sur le moyen terme, deux chemins se dessinent. Le plus fréquent : la rupture conventionnelle, par laquelle employeur et salarié se mettent d’accord pour mettre fin au contrat.

6 – Si employeur et salarié ne parviennent pas à trouver d’accord, et que l’employeur estime que l’état du salarié, et la nature de ses activités, sont susceptibles de porter atteinte à la sécurité des personnes et des biens, la Msa précise qu’il peut être « soumis à l’épreuve de l’alcootest dans le cas où l’état d’imprégnation alcoolique constitue un danger pour les intéressés ou leur environnement. » Mais cela, à plusieurs conditions :

  • Le dépistage doit être effectué par éthylotest (dépistage de l’alcool dans l’air expiré).
  • Réalisé par la personne désignée dans le règlement intérieur.
  • La présence d’un tiers doit être proposée au salarié, éventuellement un collègue.
  • Le salarié est informé de son droit de demander une contre-expertise.

Si le résultat du test prouve cet écart, l’employeur peut alors envisager un licenciement pour faute grave. « Cela peut-être un soulagement pour la personne concernée », souligne ce salarié qui a été des deux côtés du miroir (lire encadré ci-contre). «Le choc peut être salutaire. Ces personnes très compétentes peuvent rebondir si elles se soignent. Ne rien faire alimente la situation. On ne laisse pas une personne en danger », plaide-t-il.

La culture de l’alcool, on en parle?

La consommation d’alcool n’est évidemment pas uniquement le fait des salariés. Lesquels peuvent aussi être encouragés à trop en boire (ou à ‘replonger’), dans un environnement propice : « convivialité » au quotidien, évènements festifs, repas au restaurant, disponibilité des boissons sur les différents lieux de travail, plaisanteries, pressions à la consommation… la liste est longue.

« Au hangar, la discussion avec un salarié peut être un moment de détente pour un adhérent, accompagné d’un ‘petit verre’. Le problème, c’est quand il y en a quatre dans la journée », souligne ce salarié. « Chez nous, on est au café maintenant. »

Les responsables n’ont pas mandat à ‘coacher’ leurs adhérents sur ce sujet. En revanche, ils peuvent encadrer, en décourageant la prise d’alcool sur le temps et le lieu de travail des salariés. Et lors des festivités, en limitant les quantités, en proposant d’autres options, et en gardant un oeil sur les conducteurs. Voire responsabiliser certains adhérents à tour de rôle : les fameux « capitaines de soirée ». Car l’alcool, en tracteur, en voiture ou à l’atelier, ça finit toujours par « faire mal »

 

En pratique : Quelles sont les limites?

Pour un permis B standard, il est interdit de conduire avec un taux d’alcool dans le sang supérieur à 0,5g/l. C’est l’équivalent de moins de deux verres dosés par des professionnels (des « doses bar »), pour une personne de corpulence standard. Soit un verre = 25cl de bière à 5°, 12,5 cl de vin de 10 à 12°, 3 cl d’alcool distillé à 40° (whiskey, anisette, gin). Pour les détenteurs de permis probatoires, cette limite est fixée à 0,2g/l, donc presque rien. A noter : les doses « maison » sont généralement bien plus élevées. La bière et le vin sont aussi de plus en plus forts en alcool. Ces « repères » sont donc à prendre avec précaution. L’idéal ? Pas d’alcool avant, ni pendant la journée de travail, du début à la fin jusqu’au retour au domicile.  En outre, en 2017, Santé publique France et l’Institut National du Cancer ont  élaboré de nouveaux repères de consommation à moindre risque en termes de santé : si l’on consomme de l’alcool, maximum dix verres par semaine, maximum deux verres par jour, et des jours dans la semaine sans consommation.

En pratique : Côté Employeur, que dit la loi?

Le grand principe selon le Code du travail : « L’employeur est responsable de la santé et de la sécurité des travailleurs. Il a l’obligation légale de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer leur sécurité et protéger leur santé physique et mentale. » Une obligation qui couvre également les trajets professionnels et les moments de convivialité organisés dans le cadre du travail.

Le Code du travail n’interdit pas strictement la consommation d’alcool sur le lieu de travail : « Aucune boisson alcoolisée autre que le vin, la bière, le cidre et le poiré n’est autorisée sur le lieu de travail. » Pour éviter tout « débordement », l’employeur est tenu de prévoir dans le règlement intérieur ou par une note de service les limites destinées à prévenir tout risque d’accident.

Lors des moments de convivialité, pour chaque alcool non autorisé introduit sur le lieu de travail (= tout sauf vin, bière, cidre et poiré), et pour chaque salarié entrant ou séjournant sur le lieu de travail sous l’emprise de l’alcool, l’employeur risque 10 000 € d’amende.

Si le salarié a un accident de la circulation dans le cadre d’un trajet professionnel, en état d’ébriété, l’employeur peut être tenu pour responsable si sa négligence ou si on peut prouver qu’il n’a pas respecté son obligation de mise en sécurité du salarié. Sa responsabilité peut être engagée au pénal.

En pratique : Les signaux d’alerte

  • Des erreurs de plus en plus fréquentes: chutes, mauvais réglages, accidents, oublis… assorties de tentatives de camouflages. Ce que vous voyez n’est que la partie visible de l’iceberg
  • Des décalages de chantiers, de missions
  • Si le salarié a des collègues, inversions fréquentes. Le reste de l’équipe compense, repasse derrière, pour le protéger et rester en sécurité
  • Un salarié qui travaille de lui-même le weekend ou le soir, pour compenser ce qui n’a pas pu être effectué en semaine. D’où la perception du « bon gars », « travailleur »
  • Le refus d’être accompagné à certains moments dans les endroits confinés (cabine, habitacle…)
  • Des sautes d’humeur
  • Des « petites phrases » des adhérents : « Il était en forme, ce jour-là… »
  • L’organisation du quotidien autour de la prise d’alcool : se charger de la continuité de l’approvisionnement (fêtes, chantiers, quotidien) et des mélanges, toujours un peu trop forts, visites à des adhérents « robinets », repas du midi au domicile

En pratique : Trois profils qui s’alimentent

Ces trois profils se retrouvent dans les témoignages recueillis. Ils correspondent à des âges et à des stades croissants de la maladie. Mais tous bénéficient d’une forme de protection sociale qui rend difficile le repérage et l’action des responsables. À quel moment dire stop ? Le plus tôt possible : à l’atelier, au volant ou au champ, l’alcoolisation mène invariablement à l’accident.

Le fêtard du weekend : plutôt jeune, il s’alcoolise « très vite et très fort », de manière épisodique. Les lundis matins sont difficiles. On le regarde avec une quasi-tendresse : « On a tous été jeunes ! »

Le « festif » : il organise la prise d’alcool autour de moments acceptés socialement, et passe presque incognito. « Un gars convivial ! »

La maladie : le quotidien est tout entier organisé autour de l’alcoolisation rapide, et du fait de cacher la dépendance. Il boit, il compense ; le reste passe au second plan. On minimise : « Il a un petit souci avec la bouteille. »

En pratique : Pour les autres salariés, un traumatisme

Ce salarié de cuma a vécu les deux situations : atteint d’alcoolisme pendant de longues années, il est devenu totalement abstinent. Et il a ensuite travaillé avec un collègue malade, pour lequel il a compensé pendant des années. « On a tendance à protéger ses collègues. Pour ma part, je reprenais pas mal de choses que faisait mon collègue. On se cache, pour que le travail soit fait. Et à force de protéger cette personne, on se fatigue, on prend des risques, on fait des erreurs techniques. On s’use, on se blesse, on casse. Et on se fait engueuler ! Mon collègue a finalement accepté la rupture conventionnelle proposée par nos employeurs. Et moi, j’ai changé de poste. Mais cette charge m’a « hanté » pendant trois ans après ; je n’y croyais pas, mais c’est vrai. En revanche, ce qui est positif, c’est que les mentalités changent. Sur les chantiers, partout, on propose autre chose que de l’alcool. La pression est moins forte, les gens sont plus sensibles à ces questions. Les tracteurs roulent plus vite aussi. Mais une personne malade trouvera de l’alcool dans toutes les situations : l’addiction rend très ingénieux. »

En pratique : Où trouver des ressources?

La MSA édite des fiches très pratiques correspondant à diverses situations d’addictions au travail

L’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail propose un accompagnement gratuit pour prévenir les conduites addictives en milieu professionnel.

Enfin, Santé Publique France propose un outil pour évaluer sa consommation d’alcool.

Pour plus d’information, retrouvez aussi ces articles sur www.entraid.com :

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