Le quotidien d’un agriculteur vers 2050

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Le quotidien d’un agriculteur vers 2050

Les exosquelettes constituent une piste sérieuse pour aider les agriculteurs et les ouvriers agricoles à effectuer les tâches répétitives qui ne peuvent être déléguées à des robots.

Les amoureux des machines vont devoir se faire une raison: le futur des exploitants agricoles ne se dessine pas dans la cabine du tracteur, mais plutôt entre données et parcelles. Les décideurs de demain s’appuieront sur une myriade de capteurs et des compétences poussées. Mais ils vont certainement devoir se battre pour garder leur autonomie de décision.

A quoi pourrait ressembler le quotidien d’un agriculteur en 2050? Lucas s’équipe comme tous les matins pour son «tour de plaine», après avoir vérifié l’état sanitaire de son petit troupeau, et l’avoir nourri, soutenu dans chacun de ses gestes par son exosquelette. Dans son sac à dos, une gourde, une petite bêche télescopique, un kit d’analyse des sols et de leur microfaune, une trousse d’urgences munies de doses antivenin.

Agriculteur en 2050: casquette à réalité augmentée

agriculteur en 2050

La botte, indispensable accessoire et qui le restera, même pour l’agriculteur de 2050… A droite, la casquette avec vision tête haute: ce n’est pas de la science-fiction. Elle a été inventée par le logisticien Savoye.

Vissée sur sa tête, sa visière de réalité augmentée est munie d’une option «outdoor»: une bonne vieille casquette! Cette casquette le protège bien sûr du soleil qui va taper très fort aujourd’hui. De plus la visière déroule un écran virtuel devant ses yeux en cas de besoin. Alimentée par ses propres mouvements et l’énergie solaire, connectée à tous ses prestataires, elle lui permet de rester en contact avec ses collègues, de localiser toutes les machines autonomes, robots et drone qu’ils font intervenir dans ses champs et ceux des autres adhérents de la coopérative de territoire. Et aussi d’enregistrer tout son, photo, vidéo dont il aurait besoin, en les géolocalisant.

Le mandala, concentré d’agroforesterie et permaculture intensives

Cela lui permet aussi de se géolocaliser en temps réel. Difficile en effet de se repérer dans les 1.500ha regroupés des 6 adhérents de la coopérative de territoire à laquelle il adhère. Même si c’est Lucas qui conçoit les rotations du «mandala».

Le mandala? Un gigantesque cercle où parcelles de cultures, couverts et arbres s’entrecroisent et se superposent. En bref: un concentré d’agroforesterie et de permaculture intensives. Objectif: permettre à tous les végétaux, à leurs systèmes racinaires et à leurs auxiliaires sur terre et souterrains de profiter de la présence des uns et des autres, d’optimiser la ressource en eau et de gaspiller le moins d’énergie possible.

Une manière aussi de réguler les populations de ravageurs en maintenant la diversité génétique des cultures et des écosystèmes, désormais mesurées et rémunérées par les collectivités.

Jardin potager de Gravetye Manor

Le jardin potager de Gravetye Manor, dans le Sussex, en Grande-Bretagne, illustre à petite échelle à quoi pourrait ressembler le découpage des parcelles sur un territoire en «permaculture industrielle». (©gravetyemanor.co.uk)

La «mandala» évolue aussi au gré des possibilités techniques des robots de récolte. En effet, les trois récolteuses de la coop doivent pouvoir passer partout, alertées en temps réel du potentiel de maturité de chaque espèce via le réseau de capteurs.

Agriculteur en 2050: la vente des data

En traversant une parcelle majoritairement composée de maïs, haricots et courges sous ombrière de vigne, Lucas dépasse l’un des quais de rechargement. L’ombrière solaire qui le surplombe permet de faire redescendre les températures. A l’image des arbres qui parsèment les parcelles. Cette unité génère et stocke de l’énergie, fournit un relais aux réseaux internet et satellite et des espaces qui permettent d’héberger et de recharger les drones, les récolteuses et les flottes de petits robots polyvalents.

Le réseau de quais de rechargement a été financé par l’équipementier qui fournit la prestation «robots» à la coop, au terme d’une longue négociation menée par sa voisine Laetitia.

Finalement l’équipementier a financé les quais. En échange de certaines données recueillies par les robots pendant leur travail (types d’adventices, dates des stades, couleurs des feuilles, présence de ravageurs, humidité du sol…). Les agriculteurs ont par contre demandé un droit de regard sur l’utilisation de ces informations.

Car certaines entreprises sont très friandes de ces données et les achètent cher. C’est par exemple le cas des fournisseurs de prestation phyto, auxiliaires et fertilisation intégrées: à la recherche de tous les signaux faibles sur l’émergence d’une maladie, ou d’une carence, ils vendent ensuite une prestation «clé en main» aux agriculteurs.

Les adhérents ont voté en AG la question mise à l’ordre du jour par Laetitia. OK pour la prestation phyto/auxiliaire. Par contre ils souhaitent garder la main sur les données de fertilisation. Ils ont du lisier à écouler car la plupart conservent un atelier d’élevage pour sécuriser leurs revenus en cas de crise. Les viandes «made in France» ont la cote chez les riches consommateurs de Chine et d’Inde, prêts à payer des prix et des taxes astronomiques.

Énergies et protéines

Hormis la viande, devenue un produit de luxe, les consommateurs réclament des protéines végétales et du local. Surtout depuis les émeutes de la faim de 2027, et la fin de l’exploitation des énergies fossiles.

Les agriculteurs sont encouragés à produire intensivement en respectant l’environnement, pour irriguer les circuits locaux ou nationaux, qu’il s’agisse d’aliments, de matières premières pour l’industrie ou encore de données… ou d’énergie: les tensions entre production d’énergie et d’alimentation de sont stabilisées. Mais les débats ont fait rage en France pendant la décennie 2030. Débats alimentés par des lobbies affûtés des deux côtés, sur fond de hausse vertigineuse des prix.

Lucas et les autres adhérents de la coop ont choisi la production alimentaire. Même s’ils doivent auto-produire au moins l’énergie nécessaire au fonctionnement de la coop. Ce qu’ils font avec le solaire, et l’hydrogène dérivé des effluents d’élevage.

C’est d’ailleurs Eliott, un collègue de Lucas à la coop, qui gère tous les aspects de production et sobriété énergétique. Eliott est parfois appelé pour son expertise à ce sujet par d’autres coop pour transmettre son expérience.

Quant à Lucas, plutôt spécialité en agronomie et écosystème, il a parfois été appelé par de grosses unités agricoles, gérées par des investisseurs de pays «sans-terres», qui sous-traitent l’intégralité des opérations culturales à des prestataires ou des agriculteurs-salariés, rapatrient les denrées chez eux pour leur propre compte ou les vendre au plus offrant. D’autres exploitations, pas assez capitalisées, ont intégré des pools de producteurs liés à la grande distribution. Là encore, l’agriculteur est un exécutant.

Ce n’est pas le cas dans la coopérative à laquelle adhère Lucas. Mais cela demande à chaque adhérent d’être attentifs à sa rentabilité et de se former pour rester compétitif. Ils vont chercher leurs ressources au sein du réseau des coopératives. Avec des formations dans le Metaverse.

Une agriculture rémunérée en partie par les collectivités territoriales

Lucas prépare aujourd’hui son contrôle agronomique hebdomadaire, pour vérifier le bon étalonnage de tous les capteurs. Les agriculteurs reçoivent une partie de leurs revenus de manière contractuelle de la part de la collectivité territoriale, en échange d’un engagement de maintien de la qualité des sols, des nappes phréatiques, de la biodiversité et de leur contribution à limiter les émissions (voire à stocker) de GES. Mais surtout, c’est le quota d’eau d’irrigation des agriculteurs qui est en jeu.

Sur cette zone de captage sensible, aucune goutte d’eau ne doit être utilisée pour rien. Concrètement? Aucun travail du sol. Aucune parcelle nue à aucun moment. Fertilisation et irrigation au plus près des besoins des plantes. Et des phytos utilisés au strict minimum.

Pour cela, des capteurs «checkent» et enregistrent en permanence l’activité des robots, des insectes, relèvent les paramètres des sols, des cultures et des points d’eau.

Agriculteur en 2050 et prime pour stocker le carbone

Ici, les maïs ont été implantés dans un couvert majoritairement constitué de féverole. Couvert qui a bien fonctionné malgré une alternance de périodes sèches et de pluies intenses. Les 3 récolteuses et leurs remorques, pas trop lourdes, n’ont pas tassé les sols. Les robots n’ont pas eu besoin de venir biner entre les pieds, bien au frais dans le mulch épais des débris de couverts. Les racines et les mycorhizes sont bien développées.

Les premières feuilles gardent quelques petites traces des limaces. Mais rien de méchant. Elles ont préféré rester dans le couvert. Lucas teste la filtration avec son kit. Les galeries et la porosité font descendre l’eau rapidement. Les tests de poche qu’il utilise lui renvoient des résultats positifs. Les taux de matière organique et carbone sont stables et les micro-organismes du sol font leur boulot. S’ils ont de la chance, ils pourront peut-être aller chercher le «bonus carbone». La prime à ceux qui stockent le plus…

Fiction du quotidien d’un agriculteur en 2050 librement réalisée suivant des entretiens avec: Christophe Aubé (AGreenCulture), Philippe Janneaux (VetAgroSup) en 2018 et actualisés en 2022, et avec Michel Berducat et Jean-Pierre Chanet (Irstea) en 2018.