Transmettre une exploitation agricole: c’est la problématique du moment pour une grande partie de la population agricole. Et c’était le sujet central de l’AG de la fédération des cuma Béarn-Landes-Pays basque, autour duquel un panel d’agriculteurs, d’élus et de chercheurs ont échangé, sous un angle très concret.
Ne pas faire « une agriculture sans agriculteurs »
Le tableau brossé par Caroline Mazaud, sociologue à l’Esa (laboratoire Laress), n’est pas nouveau. Mais il était étayé par des chiffres pour mesurer cette nouvelle réalité: des agriculteurs dont l’âge moyen atteint 51,4 ans. Et une proportion encore très importante d’exploitations individuelles « même si l’installation en sociétariat gagne » du terrain, a souligné la sociologue.
Les participants à la table-ronde organisée par la Fédération des cuma « 640 » sur comment transmettre une exploitation agricole.
« C’est un moment charnière, où les OPA ont à se saisir pour ne pas faire « une agriculture sans agriculteurs* », c’est-à-dire favoriser la reprise sans installation », a-t-elle résumé.
Davantage de certitudes dans les grandes exploitations
En sachant, a également posé Caroline Mazaud, qu’une grande partie des agriculteurs de plus de 60 ans n’ont pas encore de certitude sur le devenir de leur exploitation dans les trois ans. « Plus l’exploitation est petite, plus ce devenir est incertain », a souligné la chercheuse.
L’analyse des candidats dans les Points Accueil installation des chambres d’agriculture, qui accueillent 21 000 personnes par an en moyenne, pour environ 14 000 installations, laisse apparaître des profils de candidats à la reprise plus féminins, plus qualifiés, davantage de hors-cadre familiaux et avec une appétence pour le bio.
« Les trajectoires de pré-installation se diversifient, avec des origines sociales plus variées, des détours professionnels, qui ont un impact sur la manière d’envisager le métier, les rapports au territoire. » Ce, a-t-elle insisté, du côté des enfants d’agriculteurs comme des Nima.
Témoignage de Notre-Dame-des-Landes, laboratoire de l’installation agricole
Mathieu Drouet, agriculteur depuis 2011 à Notre-Dame-des-Landes et adhérent à la cuma du Bocage nantais en Loire-Atlantique, faisait partie des témoins de cette table-ronde.
« Je me suis installé en 2011, sur l’exploitation familiale, sur ce territoire peut-être en avance sur les questions de renouvellement. L’un des moyens, pour lutter contre le projet d’aéroport, a été l’installation. Avec souvent des profils féminins, très qualifiés, avec la volonté de faire de l’agriculture autrement. »
« D’un autre côté, il y a aussi eu des financements pour restructurer l’agriculture dans ce secteur. Au niveau cuma, nous avons choisi de regrouper plusieurs structures qui sont devenues la cuma du Bocage nantais. Nous avons désormais 10 salariés dont 2 apprentis et 2 secrétaires comptables, pour un chiffres d’affaires autour de 800 000 €. »
« Je fais aussi partie d’un groupe « jeunes », à la fédération, constitué de 7 agriculteurs, depuis 6 ans. Ce qui nous a permis de sortir de nos fermes. Nous avons travaillé particulièrement autour de trois idées, sur des constats qui nous paraissent anormaux: la méconnaissance de l’agriculture et des cuma en milieu scolaire, le manque d’accueil, notamment des nouveaux installés, et le projet d’accueil de jeunes volontaires », a résumé Mathieu Drouet.
Accueillir, accueillir, accueillir
« Nous avons donc mis en place trois actions fortes », a posé le secrétaire de la cuma du Bocage nantais. « D’abord, l’organisation de portes ouvertes aux lycées, dans les cuma. Durant deux demi-journées, nous nous adressons aux futurs installés mais aussi aux futurs salariés. C’est très bien reçu, à la fois par les élèves et leurs professeurs. »
« Nous avons aussi mis en place une journée d’accueil des nouveaux installés, les porteurs de projets. Nous avons aussi convié d’autres agriculteurs, plus avancés dans leur carrière, pour présenter la cuma. Tout cela avec un trombinoscope, un café, un repas. Nous avons été accompagnés sur ce sujet par la fédération des cuma, et nous avons pu nous appuyer sur cette expérience pour réaliser un guide à destination des groupes qui voudraient s’inspirer de cette initiative. »
« Enfin, nous avons constaté que beaucoup de jeunes se posent des questions sur le sens de leur travail. Et que l’agriculture apporte ce sens. Le projet est donc d’accueillir ces jeunes qui se posent des questions à travers le dispositif de volontariat rural agricole », a-t-il conclu.
Formule de parrainage suivie par Ludovic Bouchan
À la table-ronde figurait aussi Ludovic Bouchan, jeune agriculteur désormais adhérent à la cuma de Mazerolles, qui a pu bénéficier d’une forme de parrainage dans la reprise d’une exploitation.
Son témoignage est disponible en vidéo.
Une commissions dédiée à la communauté de communes d’Orthe et Arrigans
Jean-Marc Lescoute, président de la communauté de communes du pays d’Orthe et Arrigans, a décrit à l’assemblée la mise en place d’une commission dédiée à la transmission des exploitations agricoles sur son territoire, avec l’impulsion de la cuma de ce secteur.
Ceci, a-t-il indiqué « en s’appuyant aussi sur les chambres d’agriculture, la Safer et les élus. Nous avons commencé par écouter les témoignages de jeunes installés mais aussi de cédants. Parmi les difficultés récurrentes, il y a souvent le fait que l’habitant et l’exploitation sont imbriqués. »
François Darbo, agriculteur à Souprosse (mais aussi élu à la chambre d’agriculture, président du Comité d’orientation de la transmission et de l’installation, et cumiste), à la tribune, a aussi souhaité saluer le travail effectué au sein de cette commission.
« La mobilisation des cuma a permis de déminer le sujet », a-t-il souligné. « Mais aussi, de se rendre compte que de nombreux agriculteurs ont à faire face au même problème. Cela a facilité le travail de la chambre d’agriculture, qui réalise des points d’étape individuels avec les futurs cédants et à envisager des transmissions. Avec parfois des personnes extérieures au cercle familial. Collectivement, ce travail a aussi permis d’avoir beaucoup d’informations, de sensibiliser les agriculteurs et aussi les élus. »
Transmettre une exploitation agricole… anticiper et en parler
« Avant de parler de transmission, il faut que les collectivités travaillent au maintien des exploitations en place, en prêtant attention aux documents d’urbanisme », a souligné François Darbo.
« Et dans les compétences économiques qu’elles peuvent actionner, ma commune a par exemple fait le choix de fournir un appui économique aux personnes qui effectuent en stage de parrainage pendant un an pour préparer la transmission d’une exploitation. »
« Pour revenir aux personnes « non-issues du milieu agricole », a poursuivi François Darbo, je ne crois pas à l’arrivée de personnes qui traverseraient le pays. Le potentiel de nouveaux agriculteurs se trouve chez les enfants partis qui peuvent revenir : les cousines, cousins, nièces et neveux. Ces gens-là connaissent les paramètres de nos métiers. »
« Et il y a des choses à faire. Nous avons un beau métier. Anticipez, réfléchissez à des accès mixtes entre bâtiment d’habitation et hangars, et parlez-en autour de vous. Surtout, anticipez, il faut au moins 5 ans pour construire sa transmission. »
Héritiers, Nima… attention aux cliché
Des témoignages qui ont fait réagir Caroline Mazaud. « Je trouve intéressant, par rapport aux nouveaux profils qui apparaissent dans vos témoignages, de prendre de la distance avec les fantasmes qui peuvent exister à propos des « héritiers » », a analysé la sociologue. « Mais aussi les Nima (pour « personnes non-issues du monde agricole »), l’accès au foncier ou à la difficulté de s’intégrer. »
« On voit là des expériences qui permettent aux différentes parties de faire connaissance », a-t-elle salué. » Il y a une rencontre, mais la distance n’est pas si importante que l’on croit. Et les « Nima » ne viennent pas forcément d’aussi loin que l’on croit », a-t-elle conclu, en référence aux cercles familiaux élargis et amicaux dans lesquels évoluent les agriculteurs qui souhaitent transmettre leur exploitation.
Pour plus d’information, retrouvez aussi ces articles sur www.entraid.com :
- Quatre idées reçues sur la transmission des exploitations agricoles.
- Les conseils de Cogedis pour réussir la transmission de son exploitation.
- Ne sait-on plus fabriquer de candidats sérieux pour reprendre les exploitations ?
- L’humain, l’aspect négligé de la transmission.
(*) En référence à l’ouvrage pour reprendre les termes de l’ouvrage de François Purseigle et Bertrand Hervieu.
