Sarah Singla : « L’agriculture est à un tournant »

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Sarah Singla : « L’agriculture est à un tournant »

Sarah Singla assure que l'appauvrissement des sols est un des plus gros dangers qui planent sur l'agriculture actuelle.

Agronome et agricultrice dans l’Aveyron, Sarah Singla parcourt les salles de classe et amphithéâtres pour exposer les bénéfices de la couverture des sols. Rencontre avec cette agronome pragmatique et charismatique.

L’agriculture de conservation des sols (ACS), elle y est tombée dedans lorsqu’elle était petite. Fille d’agriculteur de l’Aveyron, elle reprend en 2007 la ferme familiale déjà en ACS depuis les années 1980.Et ce type de techniques agricoles, Sarah Singla en est convaincue, est l’avenir de notre agriculture. « Le métier d’agriculteur qui conduit un tracteur est terminé, assure l’agricultrice. D’ici vingt ans, les tracteurs se conduiront seuls car ils seront équipés de robots. Par contre, avec le changement climatique et les exigences de la société, on aura encore plus besoin d’agronomie pour réussir ce métier. »

Osez de nouvelles pratiques

Cette agricultrice ne cesse de répéter que l’agriculture est à un tournant. « On y est, se réjouit-elle. L’agriculture change totalement. Il y a de vrais engouements, questionnements autour de l’agronomie. Les agriculteurs veulent apprendre. On remet enfin cette discipline au cœur du métier. » Toutefois, ce changement complet demande aux agriculteurs une grande résilience… Et de la motivation : on ne change pas ses pratiques du jour au lendemain. C’est ce que Sarah Singla essaye d’apporter lors de ces conférences qu’elle donne aux agriculteurs. « Osez » est son maître-mot.

Pour les encourager à franchir le pas, elle explique que l’ACS doit devenir une norme. « Pour qu’une innovation soit acceptée par l’ensemble de la population, on estime qu’il faut que 20 % d’entre eux y adhèrent, explique-t-elle. C’était le cas pour le téléphone portable ou pour le tracteur. Et la bonne nouvelle, c’est que ces 20 % sont quasiment atteints, concernant la couverture des sols. »

Pour elle, adopter les nouvelles techniques d’ACS, n’est qu’une question de formation. « On a peur parce qu’il y ait de la méconnaissance, entre autres, regrette l’agricultrice. Avant de se lancer je conseille toujours d’aller à la rencontre d’agriculteurs qui se sont lancés et qui ont réussi. Et ça, ce n’est pas très compliqué ! »

agriculture de conservation des sols

« L’agriculture de conservation des sols a encore plus de sens avec les coûts de production actuels », assure Sarah Singla, agricultrice et agronome.

Se former auprès de ses pairs en agriculture de conservation des sols

En effet, le nombre d’agriculteurs pratiquant l’ACS est de plus en plus élevé. « Il y a vingt ans, il fallait essuyer les plâtres avant que cela fonctionne, reconnaît-elle. Maintenant ce n’est plus le cas. On trouve toujours un agriculteur dans son secteur qui pratique l’ACS. Et des groupes dans tous les départements depuis suffisamment longtemps pour avoir du recul et transmettre ses connaissances afin d’éviter les erreurs de débutant. »

Il existe toutefois des écueils. Pour cette agricultrice, qui aime les métaphores, l’ACS, c’est comme pour les voitures. « On a beau avoir une Ferrari, si on n’a pas le permis de conduire, on va avoir des accidents, aime-t-elle rappeler. Alors, forcément cela demande quelques ajustements dans les contenus de formations. Nous sommes en train de faire bouger l’agriculture, c’est comme faire bouger un paquebot. Il faut que le matelot bouge, mais aussi en cuisine et sur le pont. Cela demande du temps. »

Mais, pour Sarah Singla, la peur reste encore trop présente. Peur psychologique d’avoir un résultat différent de celui du voisin, peur sociale avec les regards des voisins ou des autres générations. Alors, certes, il y a un risque mais l’agronome estime : « Le plus dangereux est de ne rien faire. Nos sols s’appauvrissent et on laisse la meilleure terre partir en poussière ou avec les averses de pluie. C’est ça le plus gros risque. Notre objectif d’agriculteur est de laisser un peu plus de terre sur la Terre. »

Coté économique toujours

Mais l’Aveyronnaise, qui reste pragmatique, ne perd pas de vue la rentabilité économique des exploitations. L’agriculture est un métier dont on doit vivre. « L’ACS a encore plus de sens avec les coûts de production actuels, s’apprête-t-elle à démontrer. En ayant des couverts, les doses d’engrais à apporter son moindre. Il y a également moins de passages de tracteurs, donc on peut prévoir une réduction de la consommation de carburant. Et en plus, on améliore la fertilité des sols et leurs capacités à rendre les interventions plus efficaces. »

Pour inciter les agriculteurs à franchir le pas, certains industriels n’hésitent pas à intégrer certains principes de l’ACS dans leurs cahiers des charges. Si c’est une bonne chose pour aider les agriculteurs à se lancer, « il faut y être attentif, alerte-t-elle. Il est important que ces efforts soient rémunérés, que la valeur ajoutée soit restituée aux agriculteurs et qu’on ne perde pas en compétitivité. Par ailleurs, il faut s’assurer que cela réponde bien à une demande et que ce soit certifié. »

S’inspirer des exemples existants d’agriculture de conservation des sols

Elle appelle également à la vigilance au sujet de tout ce qu’on peut voir sur internet. « Il ne s’agit pas de faire un copier-coller de ce qu’on voit chez les autres, alerte-t-elle. Chacun a des conditions pédoclimatiques différentes. Mais cela peut être des exemples pour s’inspirer et se lancer. »

Si pour certains la couverture des sols n’en est qu’à ses balbutiements, pour d’autres, comme Sarah Singla, l’ACS a de belles perspectives devant elle. « Aujourd’hui, on va parler des variétés de couverts plutôt que des espèces, ajoute-t-elle. On pourra être beaucoup plus précis dans l’implantation de couverts selon le potentiel des sols et l’eau disponible. Sans compter la modulation et le numérique qui viendront appuyer nos décisions et nos densités de semis. » L’agriculture n’est donc qu’au début d’un virage. Virage possible si l’agronomie est maîtrisée par la grande majorité. Et sur ce point, Sarah Singla veille au grain.

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