Méthanisation: partenariat difficile entre industrie et agriculteurs

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Méthanisation: partenariat difficile entre industrie et agriculteurs

La cuma de Bourlens, dans le Villeneuvois, s’est investie dans un projet de méthanisation porté par la société Fonroche. Les agriculteurs estiment que les résultats attendus n’y sont pas et aspirent à davantage de dialogue avec l’industriel.

Depuis deux ans, Bio Villeneuvois, le méthaniseur de la société Fonroche, transforme en biométhane des matières organiques résiduelles issues de l’agriculture ou des industries locales. L’unité de méthanisation produit 3,8millions de mètres cubes de gaz par an, soit l’équivalent de la consommation annuelle en gaz d’une ville de 11.000habitants. Nombreux sont ceux qui ont cru à ce projet.

Lionel Philip, président de la cuma de Bourlens.

«Lorsque le dossier nous a été présenté, nous  y avons cru. L’industriel cherchait des surfaces pour épandre le digestat. Au sein de notre cuma, nous avons pris le temps de la réflexion, puis nous avons souhaité nous y associer pour plusieurs raisons. La première était la possibilité de bénéficier du digestat  en tant qu’agriculteurs. Ensuite, pour la cuma, on y a vu une opportunité de diversifier l’activité de la structure, d’avoir une activité économique  supplémentaire à un moment où nous venions de réaliser d’importants investissements, notamment sur l’atelier et des bureaux. On savait que l’activité historique, constituée par les travaux des sols et la moisson, avait tendance à diminuer», explique Lionel Philip, président de la cuma de Bourlens.

44.000 tonnes au lieu des 69.000 prévues

La cuma de Bourlens compte actuellement 80 adhérents. Elle développe depuis deux ans et demi une activité de prestations mécaniques, réparation et revente de matériels agricoles, en ayant créé une filiale. La structure emploie 5 personnes en CDI à temps plein. L’autre objectif pour la coopérative était de garantir, par cette nouvelle activité, la pérennité des cinq emplois. Une trentaine d’exploitations sont impliquées dans l’unité de méthanisation et un poste et demi est concerné par l’activité épandage.

Au départ, les études faisaient état d’une production de 69.000t de digestat brut à épandre sur les terres agricoles à 30km autour du méthaniseur. «Au niveau de l’organisation, chaque année, un plan d’épandage est réalisé par la chambre d’agriculture pour chaque agriculteur, en fonction de leur assolement, de leurs souhaits de calendrier. Il est établi en concertation avec l’industriel. On a suivi tous les mois avec l’entreprise en période d’épandage. Le produit est qualitatif. Le principal souci concerne les volumes.  Le compte n’y est pas. On a épandu 44.000t sur la campagne 2017 et 38.000t en 2016. 1.500 ha ont ainsi pu bénéficier de ce fertilisant de qualité», poursuit Lionel Philip.

Pour cette nouvelle activité liée au méthaniseur de la société Fonroche, la cuma de Bourlens a considérablement investi: à hauteur de 600.000€ dans des matériels (notamment tonnes à lisier). «Le fait que l’on soit en dessous des prévisions rend notre situation financière compliquée. Le seuil de rentabilité reste à atteindre», précise le président. Le chiffre d’affaires de la cuma en 2016 est de 240.000€.

La cuma a investi dans des matériels, notamment des tonnes à lisier, à hauteur de 600.000€.

Un dialogue à renouer

Les agriculteurs impliqués estiment que la cuma a été un véritable partenaire du  projet. Certains adhérents hésitent à arrêter. «En interne, il y a beaucoup de déception. Sur le plan financier de la structure, nous avons des échéances à honorer, du personnel. Actuellement, les autres activités viennent combler le manque à gagner, poursuit Lionel Philip. Les incidences financières ne seront pas prises en charge par la banque cette année.»

Le président de la cuma de Bourlens s’interroge sur la place du monde agricole dans un tel projet. «Ce projet ne pouvait pas se faire sans les agriculteurs. C’est une certitude et je crois qu’ils en ont conscience. Est-ce au monde agricole de trouver sa place dans un tel dossier ou l’inverse? Le dialogue n’est pas rompu. Il existe mais il est parasité par un nombre important d’interlocuteurs.  Nous n’avons pas le même mode de fonctionnement, ni les mêmes attentes. Je pense que le milieu agricole se remet en cause plus facilement lorsqu’on va dans la mauvaise direction. Au sein de la cuma, la prise de décision est rapide. On ressent surtout une incompréhension actuellement.»

Pour illustrer le partenariat avec la société Fonroche, Lionel Philip cite l’exemple de l’implantation des cinq fosses à lisier sur les terres mises à disposition par des adhérents de la coopérative. «Nous avons joué le jeu. Pour les fosses aériennes de stockage de 5.000m3 que le groupe industriel a financées, nous avons dû aller convaincre de leur implantation le voisinage et certains de nos collègues, au démarrage du projet sur le plan administratif. On s’est battu sur ce projet.» Les adhérents de la coopérative veulent croire encore à la viabilité de ce dossier et à la rentabilité économique de l’activité, en dépit des volumes non atteints. «La réussite passera par le dialogue et le compromis», estime Lionel Philipp, qui indique que si l’activité ne s’avère pas rentable dans les prochains mois, la cuma devra prendre la décision de vendre une partie des matériels pour maintenir la santé financière de la structure.

Une forte déception

Thierry Meillier, éleveur de bovins viande à Castella et adhérent de la cuma de Bourlens, a été un des premiers à croire à ce projet. Sur ses terres, une fosse de stockage de 5.000m3, financée par l’industriel, est installée.
«C’est un sentiment de déception qui domine. Les volumes n’y sont pas, ce qui a des incidences économiques sur la coopérative. Sur les deux premières campagnes, le digestat rendu racine devait être gratuit pour l’agriculteur. C’était le contrat de départ. Bio Villeneuvois paie l’épandage à la cuma à hauteur de 3€/m3 épandu. Sauf que la cuma est contrainte de facturer à chaque adhérent 1 ou 2€/m3 en fonction du mode d’épandage utilisé, pour prendre en compte la problématique transport. À mes yeux, l’entreprise n’a pas respecté totalement ses engagements. Exemple: huit fosses de stockage étaient prévues, il n’y en a que cinq. Le souci numéro un, c’est le manque de volume. Certaines prestations ne sont pas payées à leur juste valeur. Je ne compte pas arrêter, mais il faut des réponses.»