On a commencé sur nos mobylettes…

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On a commencé sur nos mobylettes…

Stéphane Mourgues, responsable de la moissonneuse, Franck Cahors, trésorier, Régis Buzenac, tout nouveau président de la cuma du Centre et du Rieutord et Christian Rouchy, son prédécesseur.

« Individualistes », « peu engagés », « consommateurs »... Il ne pleut pas que des compliments sur les agriculteurs des nouvelles générations. A la cuma du Centre et du Rieutord, dans le Tarn-et-Garonne, Christian Rouchy vient pourtant de transmettre sa responsabilité de président à une bande de trentenaires pas empotés.

L’affaire était mal engagée : le président de la cuma, qui s’en occupait depuis 42 ans (!), seulement secondé par son trésorier, avait demandé un remplaçant à trois reprises lors des assemblées générales. Pas de réponse, malgré la présence de trentenaires au bureau, rentrés quelques années auparavant en tant qu’administrateurs.

Il s’appuie alors sur Léa Sabary, animatrice à la fédération des cuma, qui lui propose un audit du groupe sur cette question. Ce type d’audit dédié aux cuma, appelé « Dina » - Dispositif national d’accompagnement des cuma - permet de financer un temps d’animation dédié à réfléchir sur le fonctionnement de la cuma. Une séquence qui a permis de lister les responsabilités dans cette cuma qui s’était agrandie au fil du temps.

Diplomatie

Quand Christian Rouchy avait pris la présidence, il n’y avait que 14 adhérents à gérer. Mais la cuma voisine, celle du Rieutord, comptait davantage d’agriculteurs adhérents, dont une partie était impliquée dans les deux structures. « C’était sans doute une erreur au départ de créer deux cuma sur ce petit territoire », glisse-t-il. Au fil du temps, les sensibilités locales s’adoucissent, le contexte se durcit aussi. Les présidents amènent tout doucement au rapprochement des deux structures, puis à la fusion en 1995.

Une affaire qui a demandé non seulement de la patience, mais aussi du tact et de la diplomatie. « Chaque cuma possédait sa propre moissonneuse-batteuse, raconte Christian Rouchy. Un jour, avant le rapprochement, j’ai proposé un seul chauffeur pour ces deux machines. Ça a été le tollé ! »

Mais pour rationaliser l’activité et maintenir prix et performance, les présidents persistent et décident sur quelques années de tabler sur l’intercuma entre les deux groupes pour une épareuse et une moissonneuse-batteuse communes. Viendra ensuite la construction d’un hangar, toujours en intercuma.

S’ensuivra logiquement la fusion des deux cuma au départ en retraite d’André Enjalbert, président de la cuma du Rieutord. Prudents, les deux hommes avaient décidé d’inclure les deux noms, « Centre », et « Rieutord » dans celui de la nouvelle entité. Et voilà Christian Rouchy président d’une cuma regroupant une centaine d’adhérents, 85 activités, 160 matériels et 125 000 € de chiffre d’affaires. Claude Laflorentie l’appuie alors à la trésorerie et Dominique Alzonne à l’entretien du matériel.

Constat de Léa Sabary : le manque d’enthousiasme pour reprendre le mandat de président est logique. « Tout, y compris la gestion des matériels, reposait sur trois personnes. Cela, additionné au fait que le prochain président risquait d’en prendre, comme Christian Rouchy, pour 42 ans… ça pouvait faire peur ! » Le Dina a permis de prendre le recul nécessaire pour dresser la liste des tâches, et ensuite rebattre les cartes, diviser et réorganiser les responsabilités.

Une possibilité attrapée au vol par le groupe d’agriculteurs plus jeunes, déjà administrateurs. Une petite réunion plus tard, et le tour est joué : « Régis a réparti les tâches », résume le trésorier, Franck Cahors, d’un ton faussement résigné. « Oui, il a fait le noyau dur à lui tout seul », renchérit en riant Stéphane Mourgues, aujourd’hui responsable de la moissonneuse-batteuse. « Mais on a gagné du temps grâce à lui » ajoute-t-il, plus sérieux. « J’ai peut-être été un peu vite, concède Régis Buzenac, président de la cuma depuis juin 2018. Certains, - du coin de l’œil il surveille le trésorier - m’ont ironiquement remercié de les avoir prévenus. » Ils rient tous trois franchement, avec Christian Rouchy.

Un nouveau contexte

Régis Buzenac peut désormais compter sur un trésorier, une secrétaire qui assure aussi la comptabilité, et des responsables matériels chargés de l’entretien des machines pour les plus grosses activités.

L’équipe s’est appliquée à récupérer toutes les créances, parfois anciennes, « même si, précise Christian Rouchy, ce travail avait déjà été bien entamé pour leur remettre une cuma en ordre de marche. » Pendant tout son mandat, l’ancien président a défendu une prise en compte des sensibilités et des situations pour faire du sur-mesure. Lors de l’assemblée générale de la fdcuma82, avec les nouveaux venus, il avait présenté leur travail sur la transmission des responsabilités, en soulignant que « savoir écouter est la principale qualité d’un responsable de cuma. »

S’ils ont reçu le message, les nouveaux responsables n’en prônent pas moins une approche plus « musclée », sans doute parce qu’ils évoluent dans un contexte difficile dès leur installation. « C’est la survie des exploitations qui est en jeu », précise Régis Buzenac, que l’on sent bouillonner.

« C’est pareil pour la cuma ! Nous ne pouvons pas faire la banque pour les adhérents. Notre politique, depuis toujours, c’est le meilleur tarif. Maintenant, soit les adhérents l’acceptent et jouent le jeu, soit ils vont voir ailleurs, où c’est en général plus cher, et ils n’ont pas leur mot à dire. Parce qu’à la cuma, et c’est important, les adhérents ont la parole. »

Cohésion des responsables

C’est peut-être le fil rouge de cette transmission réussie : les principes coopératifs - la parole, le vote, la priorité à un service performant aux adhérents - restent bien vivants. A la différence qu’aujourd’hui, ces principes sont portés par une équipe. Président et trésorier relancent en commun les retardataires, proposent des échéanciers et surveillent leurs ouailles, et leurs matériels - comme le lait sur le feu. Mais cette cohésion existait avant : « on est une bande de copains, reconnaissent-ils. On a commencé en réparant nos mobylettes ensemble. »

« Je me dis que c’est bien. J’ai souvent été seul pour récupérer les impayés, et dans ce cas, on se sent démuni. C’est ce qui m’a manqué. Si les adhérents voient une équipe solidaire, ils acceptent plus facilement les règles » souligne Christian Rouchy, l’ancien président.

De beaux projets

Les nouveaux responsables se projettent aussi, même si, préviennent-ils, « tant qu’un outil ne sera pas amorti, on ne réinvestira pas. » Ils envisagent aujourd’hui d’investir dans un cueilleur polyvalent à 60 cm en revendant un cueilleur à tournesol. Autre évolution lourde : l’embauche d’un salarié en groupement d’employeurs, pour conduire et entretenir les matériels, mais aussi pour soulager les adhérents en le mettant à disposition sur les exploitations.

Un très beau projet, dans ce secteur où c’est la problématique du manque de main d’œuvre - saisonnière et familiale - qui a conduit les exploitations à délaisser l’arboriculture pour privilégier la polyculture-élevage, « où l’on peut tout faire tout seul ». La cuma a donc tout son rôle pour consolider ces exploitations et essayer, justement, de sortir du « tout faire tout seul ».