Dérèglement climatique : préserver le capital sol

Partager sur
Abonnés

Dérèglement climatique : préserver le capital sol

Il faudra maximiser l'espace exploré par les racines pour aller chercher l'eau.

À quoi les agriculteurs français doivent-ils s’attendre dans la manière de travailler, fertiliser et irriguer leurs sols avec le dérèglement climatique ? L’analyse de deux experts montre qu’il faudra plus que jamais adapter les pratiques aux circonstances en gardant à l’esprit la préservation du potentiel agronomique.

Les agriculteurs prennent de plus en plus la mesure de ce qui se passe sous leurs pieds. Il n’est que de constater le succès des commentaires de profil cultural lors des démonstrations et journées techniques. Comment ce petit monde de particules, d’agrégats et de créatures microscopiques réagira-t-il au dérèglement climatique ?
Première remarque de Frédéric Levrault, expert agriculture et changement climatique à Chambres d’agriculture France : « On parle beaucoup de la température atmosphérique, mais il ne faut pas oublier celle du sol. Elle augmente, elle aussi, les relevés le prouvent. Les effets du froid en matière de prophylaxie et de structuration diminuent, la biologie et la chimie du sol sont affectées. »
Les fameux labours d’hiver dans les argiles demanderont sans doute à être repris plus énergiquement, faute d’une efficacité suffisante des alternances de gel et dégel.

L’hiver aura moins d’effets

On peut également imaginer des semis de printemps plus précoces, dès lors que le sol aura digéré les pluies hivernales et sera suffisamment ressuyé. Mais il restera le risque de gel tardif sur des végétaux en avance. Le mécanisme déjà en place sur les vignes et arbres fruitiers est malheureusement connu, débourrage précoce et gel des jeunes pousses.

Autre effet : dans le sol plus chaud, si une humidité suffisante est présente, la minéralisation sera plus rapide, et avec elle les cycles du carbone et de l’azote. « Au printemps, avec un hiver pluvieux, explique Dominique Arrouays, directeur de l’unité Infosol à l’Inrae, le risque de lixiviation de l’azote sera plus fort, d’où l’intérêt des cultures intermédiaires et de la réalisation d’un bilan d’azote en fin d’hiver. »

Frédéric Levrault annonce également des épisodes de sécheresse plus nombreux et plus intenses. «Les mesures montrent que nous sommes déjà dans une trajectoire d’augmentation, en particulier durant les périodes où les cultures en ont le plus besoin d’eau. Ce n’est pas tant le manque de précipitations qui est en cause, mais plutôt une hausse de l’évapotranspiration. La saison 2022 nous en a d’ailleurs donné un exemple.»

On peut aisément présager que les opérations de travail du sol estival comme le déchaumage seront plus difficiles. Ou qu’elles devront être reportées en attendant la pluie. « Les créneaux pour implanter des cultures intermédiaires vont se réduire, le maïs sera exposé à un risque d’échaudage », ajoute Dominique Arrouays.

Manque d’eau

« La grande question qui se pose alors, poursuit Frédéric Levrault, est celle de l’irrigation. Est-ce qu’elle suffira à compenser le déficit ou faudra-t-il activer d’autres leviers comme la génétique, le choix de variétés plus précoces ou d’espèces moins sensibles, l’amélioration de la capacité de rétention du sol, etc. ? »

Vu les difficiles débats en cours sur la ressource en eau, il est très probable qu’on ne pourra pas irriguer toute la SAU française.

Dominique Arrouays revient sur le sol lui-même. « Les agriculteurs ont intérêt à favoriser une bonne structure du sol en profondeur, par exemple. En introduisant de la luzerne dans rotation. » Faut-il également amender à haute dose pour gagner en matière organique ?

« Attention, les dernières études montrent que la matière organique en elle-même a relativement peu d’effet sur la rétention en eau des sols, à part s’ils sont très sableux », explique l’expert.

Il ajoute : « Par contre, elle en a un très fort effet sur l’amélioration de la structure, sur l’infiltration, et sur l’enracinement et donc l’exploitation du réservoir d’eau existant, en surface comme en profondeur. »

semoir à disques en démonstration

Semoir à disques en démonstration.

Face à la violence des pluies

L’autre évolution attendue du climat est la multiplication d’épisodes pluvieux intenses. « Ce n’est pas une généralité, prévient Frédéric Levrault. Certes, un climat plus chaud se traduit par plus s’évaporation donc plus d’eau dans l’atmosphère. Mais les fortes pluies ne toucheront pas toutes les régions à l’identique. »

Pour se prémunir des conséquences de ces précipitations, il préconise de « porter attention à la couverture des sols, le plus longtemps dans l’année, et adapter les façons culturales en fonction des pentes, pour éviter la battance et l’érosion ».

Dominique Arrouays ajoute la plantation de haies en travers des pentes pour couper le ravinement. Et ne peut que confirmer l’intérêt des couverts végétaux. Dont l’effet est triple, selon l’expert. Lutter contre l’érosion en limitant le ruissellement et l’effet “splash” des gouttes de pluie, incorporation de carbone et donc de matière organique, et moins de lixiviation d’azote.

Il voit d’un bon œil le développement de l’agriculture de conservation et du semis direct. Des pratiques qui conduisent à former un mulch protecteur en surface.

Dominique Arrouays met en garde contre la pratique du semis direct en sol humide ou trop sensible au tassement. Il conseille également de « surveiller une éventuelle acidification en surface due à l’accumulation de matière organique. » Et de rappeler que les les sols calcaires et argilo-calcaires sont les plus favorables au semis direct.

Il cite d’autre part la dépendance au glyphosate, qui représente une limite à l’agriculture de conservation.

Des saisons moins prévisibles

Un autre facteur apparaît dans les prévisions. Le déroulement idéal des saisons agricoles sera de plus en plus bousculé par la météo.

« Les différences entre saisons vont rester, rassure Frédéric Levrault, mais seront moins constantes, et la transition sera plus rapide. »

Difficile dans ces conditions de prévoir les calendriers à l’avance. On risque par exemple de devoir reporter les semis blé en attendant le ressuyage lors d’automnes humides.

Et Dominique Arrouays lance un avertissement. « Attention au tassement, au réglage des pneumatiques, au choix des matériels. Ainsi que de de la date de récolte du maïs. Pour les pneumatiques, il est globalement préférable de « tasser » beaucoup. Mais sur une faible surface, et en repassant toujours au même endroit que de tasser un peu moins mais partout. »

Pour plus d’informations retrouvez aussi ces articles sur www.entraid.com :