« Si, économiquement, la seule issue est d’arrêter le bio, je le ferai »

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« Si, économiquement, la seule issue est d’arrêter le bio, je le ferai »

La consommation de produits bio est en baisse, la filière doit donc se restructurer.

La filière bio voit, depuis quelques mois, sa consommation baisser. La production agricole de certains aliments est devenue excédentaire, poussant le gouvernement à instaurer un plan de sauvetage. Benjamin Vermeulen, agriculteur bio à Elincourt, témoigne auprès d'Entraid de l'incertitude du moment.

Benjamin Vermeulen, agriculteur bio à Elincourt dans le Nord, décrit à Entraid sa situation et explique pourquoi il s’est posé la question d’arrêter l’agriculture bio. Il cultive 60 ha de céréales, une dizaine d’hectares de pommes de terre, de betteraves rouges, de courges et 4 à 5 ha de carottes, panais et oignons.

Arrêter l’agriculture bio ? Une question économique

« En 2022, je me suis sérieusement posé la question d’arrêter l’agriculture bio pour me consacrer à celle conventionnelle. Cette année-là, j’ai jeté un hectare de panais, les prix des carottes bio ont baissé de moitié même si j’avais déjà réduit mes emblavements. On a vendu nos oignons bio au prix du conventionnel.

Économiquement, on marchait sur la tête et ça ne pouvait pas continuer. Mais nous avions des engagements et du matériel à amortir. Par chance, pour moi – pas pour mes collègues – certains agriculteurs ont arrêté la production bio. Sur les 25 adhérents de notre cuma, trois sont dans ce cas. Deux d’entre eux ont d’ailleurs vendu leur exploitation pour rembourser leurs dettes.

Restructuration de la filière

Entre temps, la coopérative, à laquelle nous vendons nos légumes, s’est restructurée et a pris d’autres parts de marchés. Avec les courges, notamment. J’ai donc réduit mes surfaces de pommes de terre de 40 %, arrêté les haricots verts pour cultiver ce type de légume. Nous avons revu notre méthode de contractualisation en engageant nos volumes et non plus nos surfaces. Cela nous permet d’avoir un peu de visibilité. Nous avons un prix minimum, dorénavant.

Le marché reste tout de même demandeur mais on assiste à un tassement. Avec les arrêts et réduction de surfaces au niveau d’il y a deux ans, l’offre et la demande semble à peu près équilibrée. En revanche, nous connaissons un effet ciseau avec nos charges de main-d’œuvre, mécanisation, carburant et intrants qui augmentent d’un côté et des prix en baisse de l’autre. Par exemple, en blé, nous avons vendu notre récolte l’année dernière à 420 €/t contre 270 €/t en 2023.

Et c’est un peu frustrant quand on voit que le conventionnel est davantage porteur. Lorsqu’on voit nos voisins qui cultivent des pommes de terre en réalisant des rendements de folie et qui les vendent à un prix de folie, on s’y perd. Sans convictions, on arrête le bio. Je n’ai pas arrêté, mais si, économiquement, la seule issue est d’arrêter l’agriculture bio, je le ferai. Mais à contre cœur.

Rester motivé

Le marché du bio reste très tendu, je ne m’attendais pas à un tel retournement de situation. Je regrette que la filière n’ait pas pris des précautions. Il y a encore deux ans, on nous incitait très fortement à investir et maintenant c’est l’inverse. Il faut rester prudent. La croissance de la filière a peut-être été un peu trop rapide et, là, on revient sur terre. C’est peut être un mal pour un bien, même si mener une exploitation en bio n’est pas facile.

En ce moment, par exemple, c’est la saison des désherbages, j’ai 25 salariés qui m’aident et que je dois gérer. Ce serait bien plus rentable de prendre un pulvé et de traiter… mais je n’en ai pas envie. Si je veux continuer à avoir du plaisir à me promener dans les champs, étudier l’agronomie de mes sols, je dois rester motivé. »

L’État à la rescousse de l’agriculture bio ?

Face à la crise qui touche la filière, le ministre de l’Agriculture, Marc Fesneau a annoncé, le 17 mai, un renforcement du plan de soutien au secteur de l’agriculture bio à travers une enveloppe d’aides de près de 200 millions d’euros. Parmi les mesures prises, il y a deux aides dites conjoncturelles qui ont pour but de surmonter les difficultés actuelles du marché du bio. Une enveloppe de 60 millions d’euros sera disponible pour la filière. Le but est d’aboutir après échanges avec les professionnels à une aide pour le terrain.

L’autre partie sera consacrée à la priorisation des fruits et légumes bio dans les cantines scolaires. « Les élèves d’aujourd’hui sont les consommateurs de demain, annonce un membre du ministère. Il est donc important de les éduquer et informer sur les bienfaits des produits issus de l’agriculture biologique. »

Communiquer sur le bio

Par ailleurs, trois autres aides visent à promouvoir ces produits. Une campagne de communication baptisée “bio reflex”, lancée fin 2022, sera abondée de 500 000€. À cela s’ajoute une nouvelle campagne de 3 millions d’euros. Enfin, 120 millions d’euros seront utilisés pour soutenir la restauration collective afin qu’elle respecte d’ici la fin de l’année le seuil de 20 % de produits bio comme la loi Egalim l’oblige. « Il faut soutenir le développement et les filières de l’agriculture biologique, a déclaré Marc Fesneau. Dans l’objectif que nous nous sommes fixés d’atteindre 18 % des surfaces agricoles utiles en bio d’ici 2027. »

En parallèle, l’Agence bio a alerté sur la baisse des conversions. « En 2022, on enregistre 5 245 nouveaux producteurs bio, en baisse de 5,5 % par rapport à 2021, indique-t-elle dans un communiqué de presse. Parallèlement, on enregistre 3 380 arrêts de certification biologique en 2022, soit une augmentation de 1,1%. Parmi les arrêts de certification enregistrés en 2022, il apparait que la moitié relèvent de départs en retraite. » L’autre partie des abandons étant due à la demande des consommateurs en baisse.

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