Plantées dans les années 1990, les vignes de Robin Euvrard témoignent de l’âge d’or du muscadet. Le vigneron cultive quatre hectares au Loroux-Bottereau, près de Nantes. Aux alentours, les exploitations viticoles sont de plus en plus rares, victimes de la crise de surproduction qui frappe la filière depuis les années 2000. En vingt ans, la surface du plus grand vignoble monocépage blanc de France a été divisée par deux. Retour sur le parcours de Robin Euvrard dans la viticulture régénérative.
Une heureuse rencontre
Robin Euvrard n’est pas un enfant du pays. Il a grandi à 400 kilomètres de là, en région parisienne. Encore étudiant en classe préparatoire, il découvre le monde agricole à 18 ans, en passant ses week-ends chez des amis fils d’agriculteur. Ingénieur agronome, il commence sa carrière comme conseiller auprès des agriculteurs bio du réseau GAB dans le nord de la France. Il apprend ensuite la viticulture en travaillant comme salarié pendant quatre ans. Alsace, Côtes-du-Rhône, Cahors, Gaillac… En 2019, il pose finalement ses valises dans le muscadet.
« Je voulais une petite surface pour bien valoriser le vin et je cherchais une zone où il y avait peu de viticulteurs ‘connus’ avec des systèmes alternatifs. Ici, la vigne a l’avantage d’être moins chère qu’ailleurs et, surtout, ma femme venait d’être titularisée à Nantes », explique-t-il. Fraîchement arrivé, il fait la connaissance de Vincent Harnois, dirigeant de l’entreprise de matériel agricole Eco-Dyn, spécialisée dans les outils pour la biodynamie et l’agriculture régénérative. « Il venait d’acheter une vigne et ne savait pas quoi en faire », raconte Robin Euvrard. Rapidement, Vincent Harnois lui fait visiter la parcelle. « J’ai trouvé l’endroit beau », se souvient Robin Euvrard. L’affaire était convenue.
Viticulture régénérative : faire rimer régénération et fermentation
À l’hiver 2020, les deux hommes s’associent au sein de la SCEA Eco-Dyn et se lancent sur un hectare. « La vigne était en très mauvais état après des décennies de chimie dure. Sur certains rangs, il manque la moitié des pieds », décrit Robin Euvrard. Quinze hectares de céréales et dix d’hectares de vignes ‘à arracher’ complètent le parcellaire.
Installé en agriculture biologique, le viticulteur de 38 ans applique les principes de la régénération des sols, avec des apports de la biodynamie. Sa vigne, il la considère comme un « laboratoire à ciel ouvert ». « Elle nous permet de tester le matériel Eco-Dyn en conditions réelles et de mettre en place des techniques ambitieuses en prenant des risques sans les faire peser sur nos voisins », poursuit-il.
Le viticulteur est également salarié par le constructeur de matériel agricole pour former les agriculteurs aux principes de l’agriculture régénérative et de la biodynamie.
La viticulture régénérative : un amplificateur, pas une solution
« Mon triptyque pour pratiquer une agriculture régénérative, c’est de favoriser la couverture végétale des sols, les interactions microbiennes et l’humus des sols », explique-t-il. Le viticulteur porte une attention toute particulière à l’herbe.
Pour développer un schéma de semis et de récolte efficace, il s’est adressé à des éleveurs dans le cadre de la bourse Nuffield. « Qui mieux que des éleveurs pour savoir comment cultiver l’herbe ? » Cette bourse d’étude, remportée par Robin Euvrard en 2023, permet de financer des échanges entre des agriculteurs du monde entier. L’herbe, en plus de couvrir les sols, apporte le sucre nécessaire à la fermentation. « Tout ce qui se passe dans le sol et la plante relève de processus fermentaires. Et ça tombe bien, je fais du vin qui est le fruit d’une fermentation », souligne-t-il.
Au moment de notre rencontre, en avril 2025, l’heure est aux derniers préparatifs avant la pulvérisation d’un thé de compost sur les vignes. Robin Euvrard jette un coup d’œil au contenu d’une haute cuve en inox. À l’intérieur, un liquide marron tourbillonne. « La biodynamie fait fuir beaucoup de monde avec son image ésotérique. Or, l’approche biologique est la plus puissante », assure Robin Euvrard. Néanmoins, il ne faut pas y voir une solution miracle : « la biodynamie est un amplificateur, elle ne remplacera pas tout. »
Le viticulteur utilise également de la bouse de corne préparée sur le sol de ses vignes et teste le pâturage de moutons et de porcs. « Les cochons sont intéressants, car ils font beaucoup de travail. Mais nous avons dû arrêter en raison des contraintes de double clôture, pour éviter les contacts avec les sangliers, vecteurs de maladies », précise-t-il.
Le réseau, un levier puissant
Dès la première récolte, le néo-vigneron est parvenu à transformer sa production en vin. Avec un rendement cible, approché en 2022 et tenu en 2023, de 40 hectolitres par hectare. Côté cépages, on retrouve du melon de Bourgogne, de la folle blanche, du cabernet franc et du gamay. Les bouteilles « Pont Marmite », en hommage au nom de la première parcelle cultivée, sont vendues principalement par des restaurateurs et des cavistes.
Depuis son installation, les années difficiles se sont succédées :
- gel en 2021 ;
- sécheresse en 2022 ;
- mildiou en 2024,
- etc.
Heureusement, Robin Euvrard a pu compter sur l’aide bénévole de proches pour les vendanges et la taille des sarments. Pour le matériel, il s’appuie sur l’expertise des salariés d’Eco-Dyn. « S’il y a bien un point dont je négligeais l’importance avant mon installation, c’est la force du réseau local », souligne Robin Euvrard qui s’entraide avec des voisins viticulteurs.
Alors qu’il nous conduit de son exploitation à la gare de Nantes, Robin Euvrard commente les transformations du paysage, regrettant l’essor du maraîchage sous serre et des monocultures de muguet et de mâche. Sur notre chemin, un tracteur équipé d’une arracheuse à vigne attend au bord d’une parcelle, prêt à déraciner les ceps.

Robin Euvrard et Vincent Harnois s’associent au sein de la SCEA Eco-Dyn et se lancent dans la culture de la vigne sur un hectare en pratiquant la viticulture régénérative. (©Juliette Guerit)
Un tour du monde de l’agriculture régénérative
Robin Euvrard a obtenu en 2023 la bourse Nuffield. Cette fondation, créée en 1947, attribue un financement entre 10 000 et 15 000 € pour permettre aux lauréats de visiter des exploitations dans différents pays, à la recherche de pratiques agricoles originales et innovantes pour pouvoir s’en inspirer et partager ensuite au plus grand nombre.
L’étude de Robin Euvrard portait sur l’agriculture de régénération en vigne. Allemagne, Suisse, Italie, Espagne, Angleterre, États-Unis, Canada, France… Il a multiplié les voyages ces deux dernières années. « Ça m’a permis de prendre du recul. Je n’ai pas appris de nouvelles techniques, mais ça m’a beaucoup rassuré sur le fait que ça peut fonctionner », explique-t-il.
Il s’est aussi intéressé au fonctionnement de la régénération dans d’autres productions pérennes (houblon, arboriculture, pépinière) et les cultures annuelles. Par ailleurs, il a rencontré quelques éleveurs. « Mon approche était de rendre compatible la culture de la vigne et celle de l’herbe », précise-t-il. Il insiste sur l’importance de « sortir de la monoculture ».
Pourquoi un sujet sur la viticulture régénérative ?
Robin Euvrard fait partie des agriculteurs à l’avant-garde de la régénération des sols et de l’agroécologie, en replaçant la biologie au cœur des pratiques agricoles. Lauréat de la bourse Nuffield en 2023, il partage ses connaissances avec des agriculteurs de tous horizons. Engagé, il appartient à une nouvelle génération de viticulteurs qui veut croire au renouveau du vignoble nantais, en crise depuis une vingtaine d’années.
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