Grandes cultures Bio: A deux c’est mieux…

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Grandes cultures Bio: A deux c’est mieux…

Association blé tendre - féverole. En Pays de la Loire, des essais menés sur trois ans constatent un point de protéine supplémentaire avec une chute des rendements de 10 q/ha.

L’association céréales-légumineuses démontre ses avantages agronomiques, notamment en agriculture biologique. Mais, à l’arrivée au silo, les choses se compliquent.

La nature ayant horreur du vide, les cultures associées permettent d’y remédier et s’avèrent efficaces dans les systèmes à bas niveau d’intrants. Abandonnée à l’époque gallo-romaine sous l’influence des impôts sur récolte, cette pratique ancestrale intéresse encore les chercheurs qui veulent comprendre et améliorer la variabilité des rendements ainsi que les comportements plus ou moins changeants de ces cultures.

«Il s’agit d’associer au moins deux cultures dans un même champ, explique Laurent Bedoussac, chercheur à l’Inra de Toulouse. L’intérêt est d’améliorer la qualité des céréales avec une meilleure teneur en protéines par une limitation des pertes en azote. L’association peut aussi potentiellement avoir un effet de diminution des ravageurs», poursuit-il.

Compétition mais surtout complémentarité

L’efficacité des associations est fortement liée au processus de complémentarité de niche tel que l’exploitation de ressources différentes entre les espèces: l’azote minéral VS l’azote atmosphérique dans les mélanges céréales – légumineuses, entre les différents pools de phosphore ou vis-à-vis de l’accès à l’eau.

Le processus peut aussi être lié à des enracinements différenciés quand certaines espèces valorisent les couches superficielles et les autres, les horizons profonds.  Il en va de même pour l’utilisation des ressources lumineuses en raison de la stratification verticale des couverts complexes, avec à l’extrême, l’agroforesterie. Enfin, ce processus de complémentarité s’applique aussi aux associations entre les espèces précoces et tardives.

Et facilitation

Les cultures associées peuvent aussi, l’une vis-à-vis de l’autre, avoir un rôle de facilitateur pour leur croissance avec l’augmentation des disponibilités en eau, en lumière et en nutriments (voir encadré bas de page).

Dans l’association céréales-légumineuses, de loin la plus étudiée, les légumineuses fixent une proportion plus grande d’azote atmosphérique que lorsqu’elles sont cultivées seules. Cela s’explique par la croissance plus rapide de la céréale qui épuise rapidement l’azote minéral disponible dans l’horizon superficiel. Ce phénomène pousse la légumineuse à la fixation symbiotique et la céréale associée dispose alors quasiment de la même quantité d’azote minéral que lorsqu’elle est cultivée seule. Les rendements étant inférieurs du fait de l’association, l’apport en azote gonfle le taux protéique de la céréale, à 11,1% contre 9,8% en culture seule.

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En Pays de la Loire, des essais menés sur trois ans constatent un point de protéine supplémentaire avec une chute des rendements de 10q/ha (en moyenne sur 3 ans, les blé purs ont réalisés un rendement de 37q/ha, avec un minimum de 16q/ha et un maximum de 74q/ha).Pour François Boissinot, de la chambre régionale d’agriculture, cette pratique «facilite la récolte du fait de l’effet tuteur de la céréales sur les protéagineux, augmente la productivité à l’hectare et permet une meilleure maîtrise des adventices et des ravageurs dans certains cas.»

fiche technique éditée par la Chambre d’Agriculture des Pays de la Loire 

Des freins techniques

Les principaux freins au développement des cultures associées concerneraient donc la récolte et le tri des grains, quand le mélange ne peut être utilisé tel quel pour l’alimentation animale. Dans une étude menée en 2015 par la Corab, la variabilité des espèces contenues dans les bennes à la récolte apparaît comme le frein principal pour l’aval de la filière.

La coopérative bio rassemble 160 producteurs pour une collecte de 8000 tonnes sur 6 départements de Nouvelle Aquitaine. Elle avait pour objectif de produire un mélange blé – féverole, puis de le séparer pour obtenir un blé meunier à 98% de pureté d’une part, et des féveroles, d’autre part.

105 ha ont ainsi été semés par 12 producteurs selon un cahier des charges pour les variétés utilisées et les densités de semis. A l’arrivée, ce sont 280 tonnes de mélange blé-féverole qui sont arrivées dans les silos. Sur cette expérience, «des moyens humains et techniques supplémentaires ont été mis en œuvre», précise le directeur de la Corab.

Le triage a été réalisé en 45 heures

«L’un des premiers problèmes a été la présence de fragments de féveroles identiques aux grains de blé», indique Jean-Louis Stenger, directeur de la Corab. Au silo de Saint Jean-d’Angély (17), le triage a été réalisé en 45 heures, à raison de 7 tonnes par heure pour un coût de 12€/t contre 50t/h pour un blé pur. Même si la limite de 1% de brisure de féverole fixée par le meunier a été respectée, «cela n’est pas encourageant», souffle le directeur de la coop.

Autre «vrai problème», qui empêche la Corab «d’engager une production d’importance avec des associations d’espèces», est la variabilité des bennes qui arrivent au silo. «Du simple au double malgré le cahier des charges», constate Jean-Louis Strenger. Cela rend l’agréage, et l’administration qui s’en suit, compliqués. D’autant qu’avec la variabilité qualitative du blé (incidence de 0,2%), la séparation ne peut se faire qu’après un premier stockage.

Si l’association blé-féverole pourrait être plébiscité par les producteurs, la Corab freine des 4 fers, mettant en avant ses obligations vis-à-vis du marché, les prévisions et engagements étant complètement aléatoires. «Si une année, nous avons 20% de blé pour 80% de protéagineux, c’est la catastrophe économique», s’inquiète Jean-Louis Strenger.

Piste d’évolutions

Pour Laurent Bedoussac, «l’association d’espèces doit être regardée comme un levier supplémentaire. Il ne peut pas être actionné sur toute la sole française». Par ailleurs, difficile de lancer ces mécanismes si l’aval ne peut pas s’en emparer. «Une évolution de la réglementation,  des habitudes de consommation et des produits pourrait y remédier», songe le chercheur. Quant aux techniques pour les accompagner, elles doivent, elles aussi, évoluer avec un matériel performant et adapté à cette pratique culturale qui convainc d’un point de vue agronomique.

Quelques exemples de facilitations entre cultures associées

•Les réseaux mycéliens des champignons symbiotiques mycorhiziens qui profitent à la plante mycorhizée mais aussi à la plante associée: dans une association graminée-trèfle, environ la moitié de l’azote des graminées vient du trèfle. Ce transfert limité est complété par l’azote provenant de la minéralisation des exsudats et des racines de la légumineuse qui contiennent de l’azote provenant initialement de la fixation symbiotique.

•Autre mécanisme, la production d’exsudats racinaires ou de métabolites microbiens qui permet de mobiliser une fraction du phosphore inorganique. Il a ainsi été observé une modification du pH de la rhizosphère qui permettrait d’augmenter la disponibilité du phosphore inorganique via la désorption du phosphate absorbé. C’est le cas avec une association blé dur - pois chiche.

Retrouvez aussi notre article sur les cultures associées : Un kit pour récolter les cultures associées sans dommages