« Il a plu un mois trop tôt »

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« Il a plu un mois trop tôt »

Dans le Pas-de-Calais, ici le marais audomarois, il y a encore plus de 50 cm d'eau dans les parcelles. Des récoltes de fourrages sont foutues.

Après trois semaines de pluie et des inondations à répétition, les crues des rivières principales du Pas-de-Calais continuent de faire des dégâts. Les agriculteurs, premiers acteurs du territoire, dressent un bilan et tentent de trouver des solutions d'urgence.

« À ce jour, la moitié du département du Pas-de-Calais est sous les eaux », lance Lucie Delbarre, présidente de la FDSEA du Pas-de-Calais le lundi 20 novembre, lors d’une réunion de crise organisée par le conseil régional des Hauts-de-France. Mais il ne faut pas oublier les zones qui le sont aussi dans le Nord et dans la Somme. » Voilà, la messe est dite et elle fait froid dans le dos. Cela fait maintenant trois semaines que des milliers d’habitants vivent au fil des crues et des décrues en ayant constamment les yeux rivés sur les gouttes de pluie qui ne cessent de tomber. Premier bilan des inondations dans le Pas-de-Calais.

800 000 € pour aider les exploitants du secteur

« Il y a un ras-le-bol global, explique Dominique Vermeulen, président de la MSA Nord-Pas-de-Calais. Les gens sont à bout physiquement et nerveusement. Nous avons activé nos cellules d’écoute, nous avons fait un don de 15 000 euros à la protection civile et ouvert une enveloppe de 800 000 euros pour venir en aide aux exploitants du secteur. Bien sûr, nous les proposons selon les cas et nous nous pencherons sur des solutions pour le paiement des cotisations sociales. »

Avant de dresser un bilan matériel des inondations dans le Pas-de-Calais, Lucie Delbarre tient à souligner la solidarité des agriculteurs entre eux, mais aussi envers les riverains. « Les agriculteurs et habitants des zones sinistrées viennent de vivre trois semaines qui les ont mis à rude épreuve, et ce n’est malheureusement pas fini, ajoute-t-elle. Les crues se poursuivent et semblent s’étendre davantage encore. C’est normal, il continue de pleuvoir. »

Des animaux déplacés

Une trentaine d’agriculteurs présents ce matin-là sont venus rapporter aux élus locaux le bilan et les situations dans leurs régions et selon les productions. Mais tous tentent, avec plus ou moins de réussite, à cacher leur colère envers les institutions françaises. « Ces inondations, c’est le résultat d’un manque d’entretien des canaux et réseaux hydrauliques depuis très longtemps. Rien n’est fait, c’est une honte! », lance un agriculteur. « Le gouvernement préfère inonder des maisons plutôt que de payer des entretiens de cours d’eau! », enchérit un autre.

Car la situation reste inédite. Les zones, déjà très arrosées en temps normal, sont celles consacrées aux élevages. « On a recensé plus de 600 animaux évacués de manière officielles et plus de 400 en urgence, explique Valéry Lecerf président du GDS 62. Ces mouvements d’animaux ne se font pas sans un risque sanitaire pour l’éleveur qui les accueille et sans mortalité pour ceux qui sont transportés. »

D’autres éleveurs ont choisi de remettre leurs bovins et ovins dans les prairies plus en hauteur. Mais cette fois-ci, les risques de maladies sont encore plus accrues en cette saison, d’autant que la saison hivernale ne fait que commencer. Sans parler de l’état des prairies qui devront être resemées et seront improductives.

Inondations dans le Pas-de-Calais : de lourdes conséquences

À cela s’ajoute des pertes de productions de lait liées au stress ou des pertes mécaniques pour certains robots. « On va découvrir encore de nombreuses conséquences des inondations pendant longtemps, fait reconnaître Charles Inglaer, président de l’ADPL du Pas-de-Calais. Tout cela n’est pas forcément assuré à la valeur du marché et avec de la vétusté. Tout comme les fourrages, les aliments stockés ou encore les bâtiments. »

Par ailleurs, côté cultures, les agriculteurs se veulent un peu moins alarmants. Les blés sont sous l’eau ou pas encore semés. Les betteraves, pommes de terre et chicorées ainsi que certains légumes de plein champ sont également inondés. « En betteraves, les usines sont au ralenti, explique Guillaume Wullens, président de la CGB Nord Pas-de-Calais. Il reste 45 % des surfaces à arracher alors que d’habitude, il en demeure plus que 10 %. Tout n’est pas perdu mais ce sont les dernières récoltes. Elles nous coûtent cher. Mais elle font aussi notre revenu. Les agriculteurs également, ont subi de plein fouet l’inflation. » Et de rappeler que certains agriculteurs ont plus de 60 000 euros dans les champs.

Quatre pompes en renfort

Et les maraîchers ne sont pas en reste. Dans le marais audomarois, inondé en totalité, un agriculteur raconte. « Il y a encore 10 centimètres d’eau dans la maison de mes parents, 40 cm dans mes serres et trois hectares inondés de 50 cm de pluie. » Lui comme pour la quinzaine de maraîchers du territoire peuvent faire une croix sur la moitié restante de leur récolte. « Les choux et céleris dans l’eau sont foutus, explique Antoine Hellboid, maraîcher. On ne va pas pouvoir les stocker et on va perdre des marchés et ça, ce n’est pas assuré. Ce sont aussi les récoltes de 2024 qui sont en danger. »

Bilan dressé, les aides d’urgence s’organisent. À l’image des quatre pompes qui viennent des Pays-Bas pour tenter d’assécher les vallées et le delta de l’Aa. Les enveloppes de 50 millions d’euros pour les collectivités locales et de 80 millions pour les agriculteurs des Hauts-de-France, Normandie et Bretagne ne semblent pas suffire. « Pour les 15 maraîchers du marais, on estime la perte à 1,5 million d’euros », met en perspective Antoine Hellboid.

Inondations dans le Pas-de-Calais : le régime de calamités agricoles au crash-test

Même si le régime de calamités agricole est enclenché, les agriculteurs présents ce jour-là redoutent du temps nécessaire à instruire les dossiers. « C’est une nouvelle mesure dont l’administration va devoir se saisir. On sait que cela peut être long et créer des injustices », fait remarquer un agriculteur.

Toutefois, la Région tente d’apaiser les tensions en annonçant plusieurs aides possibles, qu’il nécessite d’amender par d’autres acteurs locaux. « On peut créer une aide aux investissements de matériels, financer les frais financiers des éleveurs, aider au transport des fourrages, au resemis des prairies », annonce Marie-Sophie Lesne, vice-présidente des Hauts-de-France à l’agriculture.

Enfin, des dérogations concernant les conditionnalités à la PAC sont en pourparlers. « Il y a des zones où il faudra cultiver les jachères et d’autres où il sera impossible de couvrir les sols cet hiver », précise un agriculteur.

Mais une fois l’urgence passée, il faudra voir plus loin. « On ne veut plus revivre ça » est sur toutes les bouches des agriculteurs. Il va falloir mettre les moyens pour nettoyer les cours d’eau. Mais aussi pour le stockage de l’eau. « Il a plu 5 mm d’eau aujourd’hui, illustre Guillaume Wullens. C’est la même quantité dont j’ai besoin pour arroser mes cultures l’été. C’est du gâchis de jeter tout cela à la mer. » Pour ces deux solutions, il va falloir lever les contraintes liées à la biodiversité… Ça, c’est une autre histoire.

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