« Développer des systèmes de cultures sobres en intrants »

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« Développer des systèmes de cultures sobres en intrants »

Réduire à la fois l'usage de la chimie et de l'énergie fossile impose une réflexion globale sur le système (©Ronan Lombard).

Comment aller vers des exploitations agricoles plus sobres en intrants ? Eléments de réponse avec 7 questions posées à Francky Duchâteau (Agridées).

Afin de relever le défi énergétique, l’agriculture doit réduire sa dépendance aux carburants fossiles et à la chimie. Dans un entretien, Francky Duchâteau, responsable entreprises durables et territoires à Agridées, propose des solutions pour développer des systèmes plus sobres en intrants.

Entraid : Un agriculteur peut-il réduire sa consommation de carburant et celle de produits chimiques ?

Francky Duchâteau : Ce sont deux aspects différents de la gestion de l’entreprise agricole. Le lien direct entre consommation de carburant et phytosanitaires n’est pas immédiatement intuitif. La consommation de carburant est liée à l’utilisation du matériel. Quant au second volet, il amène à l’épandage de produits phytosanitaires. Réduire les deux en même temps amène à réfléchir à l’échelle globale du système de production. Par exemple, les agriculteurs biologiques recourent au désherbage mécanique car les produits homologués sont peu nombreux. Mais cela a des conséquences sur le sol, pouvant impacter sa structuration et amener à déstocker du carbone. Mais ce n’est pas un pour un. À l’inverse, les exploitants qui pratiquent l’agriculture de conservation des sols travaillent moins leurs sols mais peuvent compenser par des traitements chimiques. La combinaison des deux techniques assurera, à terme, une meilleure gestion des deux volets à la fois.

Entraid : Remplacer la chimie par la mécanique augmente la consommation de carburant…

F.D. : Lors d’un désherbage mécanique, on consomme uniquement du carburant. Mais un produit chimique est aussi épandu avec une machine. Sur le volet carburant, le gain n’est donc pas évident. La conservation des sols rend la structure plus résiliente. Comme le travail du sol et les interventions chimiques sont moindres, l’usage du matériel diminue d’autant. Ce modèle, s’il est performant, combine tous les objectifs.

Entraid : À l’échelle du cycle de la culture, quelles sont les marges de manœuvre dont disposent les agriculteurs en matière d’efficacité énergétique ?

F.D. : L’énergie la moins chère est celle qu’on ne consomme pas. À propos du suréquipement [voir en fin d’article], réduire la voilure permet d’adapter sa consommation à ses besoins. Concernant le modèle cultural, agir sur un seul poste s’avère limitatif et peut être inefficace. Il faut agir à l’échelle du système même si cela prend du temps. Changer ses pratiques et s’inscrire dans une démarche agroécologique offrent de gros potentiels de réduction des consommations. Cela passe par des formations, un suivi technique, etc. L’enjeu : être performant à tous les stades.

sobres en intrants

Francky Duchâteau : « De gros potentiels de réductions. »

Entraid : Outre l’agroécologie, quelles sont les autres solutions pour être énergétiquement efficace ?

F.D. : Les outils d’aide à la décision permettent de cibler ses actions : si un passage suffit, pourquoi en effectuer trois ? Le numérique sert aussi à optimiser les doses en agissant au bon endroit au bon moment. Certains constructeurs de robots annoncent des réductions de doses de 90 % avec un laser qui projette le produit sur la mauvaise herbe. Ces promesses techniques se vérifient sur de grandes parcelles dans des conditions particulières. Souvent, sur le terrain, on se limite à 10, 20 ou 30 %, selon la situation de l’agriculteur.

Entraid : Quels sont les coûts de ces solutions et sont-elles efficaces ?

F.D. : Les coûts dépendent de l’investissement. Les grosses machines sont les plus coûteuses : le prix d’un désherbeur moderne oscille entre 50 000 € et 100 000 €. Acquérir un tel matériel amène à se poser deux questions : la ferme est-elle suffisamment grande ? Achète-t-on seul ou à plusieurs ? Une gestion financière du parc matériel est nécessaire. Mais aucune étude ne démontre que de tels investissements génèrent de grands gains économiques. Même l’utilisation des GPS n’est pas optimisée. Cela reste des potentiels avec des coûts importants car insuffisamment massifiés.

Entraid : De telles solutions sont-elles adaptables à toutes les cultures ?

F.D. : Le plus souvent, les outils numériques ou robotiques sont adaptés à une culture : vigne, arboriculture, grandes cultures, etc. Et ils ne sont pas déployables partout. Le maraîchage a créé les bases scientifiques et techniques pour développer les désherbeurs robotiques. L’adaptation aux grandes cultures s’est faite dans un second temps. Les machines étant plus grosses, c’est à penser à l’échelle de grandes surfaces. Il faut aussi tenir compte du cadre réglementaire régissant l’usage des machines autonomes.

Entraid : Un mot de conclusion ?

F.D. : Le carburant et les phytosanitaires sont deux intrants essentiels d’une exploitation. L’enjeu consiste à avoir une bonne organisation afin de réduire ses besoins. Cela suppose de développer des systèmes de cultures sobres en intrants. Or l’agroécologie intègre ces dimensions. L’agriculteur doit donc transformer progressivement son modèle en fonction de ses objectifs.

Décryptage : la tendance au suréquipement

Le suréquipement concerne notamment les exploitations de grandes cultures. Les agriculteurs français sont globalement plus équipés que leurs homologues européens. Francky Duchâteau pousse l’analyse d’un phénomène qu’il avait étudié il y a une dizaine d’années. Selon lui, « il se vérifie encore aujourd’hui dans les synthèses économiques d’Agreste ou autres ». Souvent, les machines, sur une exploitation « par exemple de 100 ha », sont trop puissantes par rapport au besoin. « Si [l’exploitation] s’agrandit, le matériel d’avant conviendrait à la nouvelle dimension. Cela devrait se traduire par une meilleure rentabilité. Or, lorsqu’il renouvelle, l’agriculteur opte en réalité pour du matériel plus puissant. Donc, au bout de deux ou trois ans, il recrée son suréquipement. »

Ainsi, à l’échelle des exploitations, le matériel n’est pas toujours optimisé. « Les agriculteurs étudient-ils mal la question ? Font-ils preuve d’un excès de confiance ? Ils sont néanmoins de plus en plus à partager cette charge via de la copropriété, des cuma, etc. », remarque l’expert. Et d’observer que d’autres possèdent du matériel basique, optimisé par une longue détention. Francky Duchâteau illustre son propos par la comparaison suivante : « On n’a pas besoin d’avoir le dernier modèle de téléphone pour être performant ! »

Pour plus d’information, retrouvez aussi ces articles sur www.entraid.com :

*Agridées : Think tank de l’entreprise agricole