Trois parcours pour une cuma

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Trois parcours pour une cuma

De gauche à droite : Laurent Labrousse, Éric Farges et Jules Lagorce.

Gagner en efficacité et avoir accès à du matériel impossible à acheter seul sont le catalyseur du projet de nouvelle cuma porté par Laurent Labrousse,Éric Farges et Jules Lagorce à l’est de Périgueux.

À eux trois, ils illustrent bien des parcours de petits groupe d’agriculteurs qui décident de se regrouper quand les temps sont durs. Quand les terres sont difficiles, que les terroirs ne se laissent pas facilement dompter, alors l’entraide est souvent le petit plus qui permet de rendre les choses possibles. C’est bien ce constat dressé par une poignée d’agriculteurs installés à l’est de Périgueux qui les a conduits à se regrouper… Nous les rencontrons un jour de pluie quand il n’a pas moyen de travailler aux champs tant tout est trempé depuis des semaines.

Trois parcours différents

Cet automne est particulier. Ils sont trois à former la cheville ouvrière de cette cuma tout juste portée sur les fonts baptismaux qui n’a pas encore acheté son premier matériel. « On est encore dans la paperasse des demandes de subvention » explique Laurent Labrousse. Dans le petit bureau il y a aussi Jules Lagorce. Et Éric Farges. À eux trois, ils forment un attelage surprenant tant leurs parcours sont différents. Éric Farges a 57 ans et est éleveur de bovins. Jules Lagorce a 24 ans. Tous deux ont créé une SCEA en 2021 pour composer une exploitation de 120 hectares, dont 70 d’herbe, un troupeau de 40 mères limousines et 200 brebis de Lacaune pour la production de lait. Ils font aussi un peu de céréales.

Le troisième larron, c’est donc Laurent Labrousse qui court partout. Lui est petit fils d’agriculteur. Il a 47 ans. D’abord salarié dans une coop, il s’installe ensuite en double actif. Une fois le développement suffisant, il passe agriculteur à temps plein en 2013. Aujourd’hui, il est à la tête de 200 hectares, avec une centaine de mères allaitantes. Ce sont des limousines, comme chez Jules et Éric. Il possède aussi vergers de noyers et un troupeau de 350 chèvres laitières. Et tout cela dans un terroir qui n’est pas des plus généreux avec les agriculteurs… « Nous, ici, on n’a pas le potentiel que peuvent avoir d’autres régions. En céréales quand on est à soixante quintaux on est au taquet » résume Éric Farges.

Comment l’idée de la cuma s’est imposée dans leurs parcours ?

Par l’expérience du quotidien résume-t-il encore. « J’étais tout seul dans mon coin, je suis allé voir une cuma qui m’a claqué la porte au nez alors je me suis débrouillé pour acheter le matériel, mais là ce n’est plus possible je suis chargé à mort. C’est satisfaisant parce que j’ai eu le matériel comme je le voulais mais c’est lourd financièrement. On a toujours besoin d’être plus performant, d’aller plus vite, je crois que j’aurais beaucoup aimé avoir ça il y a quinze ans ! »

Des parcours qui se rejoignent par le besoin de performance

Pour Jules Lagorce et Éric Farges, c’est aussi l’aspect performance qui a guidé cet engagement. « L’ambition aujourd’hui c’est d’aller chercher du matériel qui soit parfaitement adapté à nos besoins et d’en limiter les coûts. Cela s’arrête là, nous n’avons pas la volonté de devenir une grosse cuma dans le paysage. Et la cuma, pour moi, c’est le moyen de réduire les coûts et d’avoir accès à du matériel plus performant » explique le jeune agriculteur. Bref, entre autres, pouvoir ramasser la luzerne dans de bonnes conditions. Et pourquoi créer sa propre cuma au lieu de rejoindre une structure existante ?

Gain de temps, de confort

La principale raison invoquée par les trois agriculteurs, c’est leur environnement, l’impossibilité de s’insérer dans un groupe existant. « J’avais donc contacté une cuma qui existe pas loin, mais cela ne les a pas intéressés. Après tout autour, c’est de la vieille génération » ajoute Laurent Labrousse. « Parfois c’est compliqué, si vous avez des éléments anciens dans le groupe et qu’ils ne veulent pas avancer, ça n’aide pas. Ils ne comprennent pas forcément l’intérêt d‘avoir des outils plus récents, plus performants ou mieux adapter à nos chantiers… » regrette Éric Farges. « Par exemple, l’autoguidage, c’est un gain de temps, de gasoil et de confort de travail, c’est de l’efficacité, de l’efficience quoi. Mais il y a encore des gens ici pour qui c’est du chinois » ajoute Jules Lagorce dont le père s’était installé en maraîchage sur deux hectares très mécanisés. Déjà en rupture avec les pratiques d’alors, trop de modernité effraie parfois encore.

Quand un petit groupe devient une cuma

Pour Rodolphe Deffieux, animateur de la fédération des cuma de Dordogne, l’histoire engagée par Laurent, Jules et Éric est assez symptomatique des temps présents. « Nous avons de plus en plus de petits groupes qui se montent ainsi. Quand nous les accueillons nous les invitons toujours à rejoindre une autre cuma et d’y créer leur propre groupe, mais très souvent ils préfèrent voler de leurs propres ailes et de leur côté » témoigne-t-il. Le premier équipement qu’ils visent, c’est un autoguidage pour les tracteurs. À cette évocation, les yeux d’Éric Farges semblent briller.

« Quand on a goûté à ça on ne peut pas revenir en arrière » se justifie-t-il en souriant. Le dossier de subvention qu’ils ont rédigé porte sur une faucheuse frontale, une barre de guidage, un enfonce pieux… Déposé à l’automne 2023 il devrait aboutir à l’été 2024. Si tout se passe bien, entre les subventions et les banques… « Les banques ce n’est pas simple aujourd’hui. Nous sommes connus individuellement comme agriculteurs mais pas comme cuma » s’inquiète un peu Laurent Labrousse qui craint de devoir montrer plusieurs pattes blanches.

D’autres projets

Mais quand ils regardent plus loin, ils louchent sur aussi un enrubanneur, un épandeur à fumier même si ce n’est pas une priorité immédiate, ou encore un outil de travail du sol, un autre pour gérer les cailloux qui « ont encore très bien poussé cette année » et posent, en raison de leur nature différente, du calcaire aux silex en passant par les galets, des casse-tête différents selon les parcelles.

« On pourrait aussi penser à acheter un beau semoir, mais ça dépend du prix » précise Jules Lagorce. « Mais là pour l’instant on ne sait pas trop où on habite. » Et plus loin encore, il y a aussi l’andaineur à tapis qui pose d’autres types de problèmes… « Un matériel comme ça, c’est déjà 60 000 ou 70 000 euros à l’achat. Mais en plus il faut des hectares pour l’amortir, cela implique d’aller en faire ailleurs, chez les voisins et ça pose de nouvelles questions, qui le fait ? Qui paye ?

Réduire les charges de mécanisation avec la cuma

Laurent est au taquet tout le temps, Éric et moi sommes aussi bien occupés » réfléchit Jules Lagorce à haute voix. Ont-ils calculé ce que les matériels visés pourraient leur faire gagner ? « Non pas encore » regrette Laurent Labrousse. « C’est un aspect, une méthode d’analyse que nous découvrons, même sur mon exploitation je ne suis pas encore allé aussi loin dans les calculs… » Jules Lagorce abonde : « On sait qu’il y a du matériel qui nous fait gagner en efficacité et qu’on peut aussi gagner à la revente, mais combien, nous ne savons pas pour le moment. »

L’usage répondra rapidement aux questions. Mais pour l’animateur de la fédération, si ce projet est emblématique de l’époque, il est aussi assez naturel. « La cuma est une réponse au poids de plus en plus important des coûts de mécanisation, c’est le seul levier sur lequel les agriculteurs peuvent jouer dans leurs charges pour tenter de réduire la pression. Aujourd’hui, nombre d’exploitants n’ont pas d’autres choix pour avoir accès à du matériel performant. Et pour ce groupe-là, c’était assez naturel, ils se connaissent, travaillent déjà ensemble sur certains chantiers.

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