L’eau douce est vitale pour produire de la nourriture, même si on cherche les moyens d’atteindre une agriculture plus sobre. Elle est indissociable aussi du cadre de vie commun à tous les citoyens. «Elle est au cœur de divers services écosystémiques» observe Christian Huyghe, Directeur Scientifique de l’INRAE qui est intervenu sur ce sujet le 13 mai dans la Vienne au cours d’une conférence intitulée « L’eau: quels systèmes agricoles pour préserver ce bien commun? » en partenariat avec le lycée agricole de Venours.
A qui est l’eau? Et pourquoi faire?
Dans ce domaine, difficile en effet de trouver un compromis qui satisfasse à la fois les enjeux alimentaires, environnementaux et économiques. L’usage de l’eau, en particulier pour l’irrigation, est source de tension. L’eau douce peut être appréhendée comme un bien commun pour aujourd’hui et pour demain. Cependant, elle est utilisée aussi comme un bien «privé» à des fins économiques pour l’agriculture, l’ostréiculture ou bien le tourisme. Il n’existe pas aujourd’hui de statut juridique pour l’eau douce, mis à part le Chili qui est le seul pays à avoir statué sur ce sujet. Dans cette tension, quel degré de «liberté» peut-on donner au système actuel? Et peut-on s’entendre sur ce que l’on veut produire et pour qui?
Apporter l’eau au bon moment
Il y a aussi sur ce sujet une place pour les innovations technologiques. Le but est d’atténuer l’impact des prélèvements sur le milieu naturel. Pour cela, on doit être capable d’apporter l’eau au bon moment. Tout en évitant au maximum les pertes d’eau non valorisées par les plantes, qui s’évaporent dans le milieu naturel. Le Directeur scientifique de l’INRAE cite les innovations portées l’entreprise israélienne d’équipements d’irrigation Netafim. Cette entreprise table sur l’irrigation de précision combinée avec l’expertise agronomique. Le but est de continuer à produire tout en consommant moins de ressources.
Deux approches nouvelles:
- La mise en œuvre de systèmes numériques de surveillance et de gestion de l’irrigation, en fonction de l’humidité du sol, des conditions météorologiques et de l’état de la culture.
- Le développement des lignes enterrées de goutte à goutte. Il s’agit d’un investissement important plus facilement amortissable pour les cultures à haute valeur ajoutée. Mais les responsables de l’entreprise jugent cette méthode d’irrigation «plus efficace que les systèmes d’aspersion où l’eau utilisée n’est valorisée qu’à 80 à 85%. Et que l’irrigation par inondation efficace seulement 40-50%».
Et gérer la ressource disponible
Il y a aussi une place pour les innovations règlementaires et organisationnelles. Les projets de territoire pour la gestion de l’eau (PTGE) donnent justement un cadre garant de la transparence et de l’implication de tous les acteurs: mise en œuvre d’une gouvernance partagée; élaboration d’un diagnostic pour connaître les milieux aquatiques, les usages, les besoins de l’eau et les enjeux monétaires; choix d’un scénario de territoire; mise en œuvre d’une plan d’action.
Baisse de l’irrigation pour le maïs grain
On irrigue 5% de la SAU française aujourd’hui. Un agriculteur sur six utilise l’irrigation. Dans le sud, l’eau irriguée provient en majorité du pompage dans les rivières. Dans le Centre, elle provient plutôt des nappes souterraines. Alors que dans le Sud-Ouest, les retenues d’eau sont plus nombreuses. L’irrigation représente 9% des prélèvements d’eau en France. Avec une grosse différence avec les autres secteurs d’activité. Alors que pour la plupart d’entre eux, l’eau prélevée est restituée. En agriculture, l’eau prélevée est consommée.
Elle sert principalement à arroser le maïs grain et semences. 41% des surfaces totales irriguées. Mais pour cette culture, grosse consommatrice d’eau l’été, la tendance est à la baisse. A l’inverse des surfaces irriguées en céréales augmentent à 18% désormais. Le reste: betteraves, tournesol, soja, protéagineux, pomme de terre représentent entre 2 et 4% pour chacune de ces cultures. 7% pour le maïs fourrager et 7% pour le maraîchage. 6 % pour les vergers. 2% pour la vigne.
Les retenues de substitution: la question qui fâche
Le débat sur l’irrigation se pose avec plus acuité encore lorsqu’on parle des retenues de substitution. «S’agit-il par ce biais de produire plus ou seulement de s’adapter à un aléa? Est-ce un frein au changement de pratiques ou un chemin de la transition?» questionne le chercheur de l’INRAE. En fonction des réponses apportées, on pourra déterminer leur dimensionnement. Autre question centrale: comment alimentera-t-on ces retenues? Collecte d’eau lors des évènements extrêmes, dans les rivières en périodes hivernales ou dans les nappes phréatiques? Le monde scientifique peut apporter sur ce sujet des références robustes pour évaluer les impacts à venir sur le milieu.
De surcroît, ce sont globalement des lieux et une base d’arbitrage qu’il convient de trouver pour trancher les tensions liées à ces projets de retenues. Y compris les tensions potentielles qui peuvent exister entre divers acteurs privés dans l’usage de l’eau. On cherchera également à évaluer la richesse générée par ces projets pour le territoire et pour l’emploi, y compris indirect. Préserver l’irrigation pour maintenir l’exportation du maïs grain n’aura sans doute pas la même perception pour la population qu’une irrigation ciblée sur la production de fourrages permettant de maintenir les élevages en place et les unités locales de transformation laitières par exemple.
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