[A la Une] Fidélisation des salariés agricoles: il y a urgence !

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[A la Une] Fidélisation des salariés agricoles: il y a urgence !

Couverture du mensuel Entraid Magazine de juin 2023.

C’est un dossier "chaud" pour les cuma dotées de salariés. Après avoir suivi un parcours du combattant pour embaucher "la perle", comment devenir un as de la fidélisation des salariés agricoles ? Entraid vous propose un petit tour chez "SOS Employeur" pour ne plus se planter.

SOMMAIRE

Pin-pon, pin-pon, pin-pon ! La fidélisation des salariés agricoles, c’est le dossier chaud du moment, à la Une d’Entraid Magazine de juin 2023. Les employeurs agricoles, dont les cuma, sont nombreux à faire le même constat. Il leur faut parfois pratiquer « les gestes qui sauvent » pour garder les salariés indispensables au fonctionnement de leur organisation.

Comment rester attractif dans un marché du travail en tension, où les offres d’emploi sont supérieures aux demandes ? Dans un marché où les salariés sont démarchés, alors même qu’ils sont en poste ? Et parfois sans réelle envie de changer ?

Des symptômes très contrastés

Les employeurs agricoles rencontrent actuellement un problème de fidélisation de leur main d'œuvre

La fidélisation des salariés agricoles, c’est l’urgence du moment pour de nombreux employeurs agricoles (©AdobeStock)

L’association des salariés agricoles de France a diffusé à l’occasion du Salon international de l’agriculture 2023 les résultats de sa grande enquête sur les conditions de travail des salariés agricoles.Les auteurs ont souhaité laisser un maximum de place aux réponses ouvertes pour obtenir des réponses précises et qualitatives. Le tout pour obtenir une image réaliste des conditions de travail des salariés agricoles en France.

Du positif

Sur plus de 400 réponses de toute la France, elle révèle du positif. Ainsi, 84 % des répondants indiquent trouver un équilibre entre vie professionnelle et personnelle.

82 % sont totalement satisfaits de leurs dates de congés. Et ce, même si 61,4 % des répondants indiquent que les congés ne sont pas anticipés.

Pour 74 % des répondants, les horaires de travail sont clairement définis et respectés. Les réponses des participants laissent entrevoir une véritable passion pour leur métier. À l’image de la passion qui anime bon nombre d’agriculteurs.

Et du moins positif

Mais les réponses à cette enquête font aussi apparaître des salariés globalement fatigués.

« Certains répondants disposent d’équipements complets : salle de pause aménagée, lave-linge, sèche-linge, douche et machine à laver… mais 25 % n’ont pas de w.-c. et 39 % n’ont pas de salle pour déjeuner », notent les auteurs.

Un tiers des répondants ont indiqué que leur employeur ne leur fournit pas d’EPI. « Il leur manque en priorité des masques à cartouche, les chaussures de sécurité, le casque et même les gants. »

Un répondant sur cinq (20 %) ne se sent pas en sécurité sur son lieu de travail, par crainte « d’un accident ou d’une maladie professionnelle. Les risques psychosociaux sont aussi cités. » Et 46 % ne savent pas si un DUER (document unique d’évaluation des risques) existe sur l’exploitation (lequel est obligatoire pour toute structure employant de la main-d’œuvre).

Moins de 45 % des répondants sont au courant de l’existence de la « nouvelle » convention collective des salariés de la production agricole et des cuma. La moitié de ceux qui la connaissent, et qui savent que leur employeur la respecte, ne sont pas satisfaits de la classification de leur emploi (qui détermine le plancher de rémunération attaché à cet emploi).

« Ils estiment », expliquent les auteurs, que le positionnement attribué ne correspond pas à leur qualification et ont le sentiment d’être sous-évalués par rapport à l’ensemble des tâches qu’ils effectuent. » D’ailleurs, 50 % indiquent ressentir une pression au travail, liée, selon les auteurs, « à la multiplicité des compétences demandées. »

Entretien annuel : « un vrai manque »

« 60 % des répondants n’ont pas d’entretien annuel avec leur employeur ». Les auteurs de l’étude constatent qu’il s’agit « d’un vrai manque. »

Enfin, 76,6 % des répondants ne bénéficient d’aucun avantage lié à leur emploi. Sur ce thème encore, il existe « une grande disparité de traitement », notent les auteurs. « Il y a ceux qui n’ont aucun avantage et d’autres qui au contraire en ont plusieurs. »

 

Témoignage : des salariés en forme

L’Union des cuma des Pays de la Loire s’intéresse depuis plusieurs années à la qualité de vie et des conditions de travail des salariés de cuma. Ainsi, c’est la première région qui s’est dotée d’un animateur emploi par département pour accompagner les cuma employeuses au mieux des besoins des responsables et de leurs salariés.

En janvier 2023, elle a réalisé avec la fdcuma de Mayenne, une enquête de satisfaction auprès des salariés des cuma des cinq départements. Dans la grande majorité, les salariés sont à la fois très contents de leurs conditions de travail et des relations au travail. Ils recommandent à la fois leur métier et leur cuma aux futurs salariés.

Ce qui les motive le plus ? La passion du métier, l’autonomie et la diversité des tâches.

Ce qui les gêne le plus au quotidien ? Beaucoup affirment que « rien » ne leur pèse et ceux qui reconnaissent un point à améliorer citent le manque de respect du matériel et l’état d’esprit de certains adhérents, qu’ils estiment éloignés des valeurs coopératives.

Si dans l’ensemble les salariés expriment leur satisfaction à œuvrer au sein des cuma, deux axes restent à travailler : d’abord l’équilibre vie privée / vie professionnelle, que 36 % trouvent comme étant trop impacté. Ensuite l’alternance des rythmes entre la basse et la haute saison, que 27 % des salariés ont du mal à vivre en période creuse.

Autant de pistes de travail pour l’Union des cuma des Pays de la Loire dans les mois à venir pour sensibiliser les employeurs et fidéliser leurs collaborateurs. Il est à noter que dans ce territoire où certains profils de salariés sont très recherchés, les référents « emploi » en cuma bénéficient d’un appui fort de la part de leurs fédérations de cuma, et sont aussi très formés à ces questions.

Saisonniers, des symptômes spécifiques

Une étude sur le salariat saisonnier menée durant le confinement Covid en 2020 révèle la spécificité des compétences attendues et de l’environnement de travail :

  • Pénibilité du travail : position courbée, travail répétitif, objectif de rendement à atteindre
  • Pénibilité des conditions de travail : en extérieur, soumis à la pluie, le soleil, le froid
  • Absence de moyens de locomotion des saisonniers, qui oblige l’employeur à s’adapter ou à proposer une solution.
  • Difficulté pour l’employeur à prévoir les saisons, avec des périodes de travail parfois hachées,… quand les saisonniers recherchent des contrats longs.
  • Concurrence entre exploitations sur le marché de la main-d’œuvre, sur un marché du travail tendu.

Diagnostic : qui sont les salariés agricoles ?

Qui sont les salariés agricoles aujourd'hui ?

Qui sont les salariés agricoles aujourd’hui ? Il faut savoir poser le bon diagnostic. (©Adobe stock)

L’emploi agricole a largement évolué depuis les années 2000 avec un recours accru à la main-d’œuvre salariée, employée directement par les agriculteurs ou par délégation de services à des cuma, Entreprises de travaux agricoles et groupements d’employeurs. Or, ces salariés sont encore peu visibles et les agriculteurs se disent encore peu préparés à assumer les fonctions de gestion des ressources humaines. De nombreuses idées reçues circulent, par méconnaissance réciproque entre salariés et employeurs. Mieux connaître l’environnement des salariés en agriculture, et spécifiquement son salarié avec ses aspirations propres, , est une première étape pour le fidéliser.

Le travail salarié s’est substitué au travail familial

Depuis plus d’un siècle, la main-d’œuvre agricole a complètement changé de configuration : la France a vu la moitié des exploitations et des actifs disparaître en agriculture en 20 ans. La forte diminution des aides familiaux présents sur les exploitations a été partiellement compensée par la salarisation de cette main-d’œuvre. On observe ainsi que l’externalisation des travaux croît avec la taille économique de l’exploitation. Pour autant, face à la modernisation de l’agriculture et l’énorme enjeu du renouvellement des générations qui apparaît, le ratio entre salariés permanents-exploitants connaît un rebond depuis 1988.

Des statuts très divers. Contrat à durée indéterminée (CDI) permanents, contrat à durée déterminée (CDD) non-saisonniers ou saisonniers (dont les contrats de vendange), travailleurs détachés, tâcherons, contrats d’apprentissage et stages rémunérés, stages courts non rémunérés, woofing,… le terme « salarié agricole » regroupe un grand nombre de statuts différents. Le CDI, gage d’une collaboration pérenne, ne représentait en 2016 que la moitié des contrats (données MSA).

Des salariés jeunes et peu formés. Très largement masculin (70 %), le salarié agricole est plus jeune que dans les autres secteurs et peu qualifié : seuls 43 % ont obtenu au mieux le brevet des collèges).

Des rémunérations faibles. La rémunération des salariés agricoles est en moyenne 20 % inférieure à celle perçue par un ouvrier de l’industrie. Les salariés agricoles précaires représentent en 2016 plus de la moitié des travailleurs du secteur agricole. Ils réalisent près d’un quart des heures de travail et sont mal rémunérés.

Des profils différents selon les types d’emploi. Un salarié d’exploitation reste plus longtemps dans une ferme, avec un niveau de diplôme moindre et pas forcément l’envie de s’installer, qu’un jeune agent du Service de remplacement, qui lui ne désire pas occuper ce poste toute leur carrière.

L’ordonnance de Pascale Croc

« La fidélisation passe par un projet d’entreprise partagé »

Ordonnance pour prendre soin de ses salariés

L’ordonnance « fidélisation » de Pascal Croc. (©Adobe stock)

Pascale Croc est viticultrice en Charentes, vice-présidente de Trame et emploie des salariés depuis deux décennies. Elle a fait évoluer ses pratiques en tant qu’employeuse.

« Contrairement à bon nombre d’idées reçues qui persistent auprès des employeurs, les collaborateurs recherchent – sauf exception – des temps complets. Or, en agriculture qui rassemble des activités saisonnières par nature, nous ne pouvons pas toujours leur en offrir sur une seule ferme. Leur proposer un contrat de travail à temps complet est donc un premier élément de fidélisation. Les groupements d’employeurs sont une réponse à cette aspiration à un emploi à temps plein, encore mieux quand ils sont territoriaux et multisectoriels.

Il est essentiel que les collaborateurs se retrouvent dans le projet d’entreprise, pour qu’il soit partagé et que le travail soit source d’épanouissement. Cela signifie qu’en tant que cheffe d’entreprise, je donne le ton et dois avoir une idée claire de là où je veux amener ma ferme, avec mon équipe. J’ai compris cela au fil des années en progressant dans ce rôle.

Le salaire est-il un autre élément clé dans la fidélisation ?

Bien sûr, le salaire doit être adapté aux compétences et à la mission mais il ne remplace pas un climat humain de qualité. En tant que cheffe d’équipe, j’accorde une place privilégiée à la confiance, l’écoute, le dialogue et la communication entre tous. Certaines start-up mettent à disposition des baby-foots dans leurs locaux : on n’a jamais vu un salarié mal dans son travail rester pour le baby-foot !

La question du salaire

Entraid a consacré à la question du salaire un dossier complet en mars 2023, intitulé « Salaires : le juste prix »

Les pages d’ouverture du dossier d’Entraid sur les salaires, publié en mars 2023.

Je suis particulièrement attentive aux conditions de travail. Par exemple, nous sommes en train d’acheter des vêtements chauffants pour les jours de gel. Je choisis un fournisseur qui correspond à mes valeurs éthiques et laisse la possibilité à chacun de choisir la coupe et le niveau de confort. Seule la sécurité n’est pas négociable : agriculteur ou collaborateur, nous valons tous la même chose.

Manager s’apprend-il ?

Oui, comme toutes les compétences, il est possible de se former et de progresser. J’ai suivi plusieurs formations et participé à de nombreux groupes de travail pour me sentir à présent plus sereine sur cette mission d’encadrement. En tant que femme, j’ai vécu des moments difficiles. Il a fallu que j’assume ma légitimité en tant que manager et que je change de posture.

Avez-vous un exemple ?

J’ai proposé à mon équipe l’achat d’une roulotte pour l’accueillir pendant la pause déjeuner en bout de vignes, alors que chacune préfère rester dans sa voiture, se mettre dans une bulle et prendre le moins de temps possible pendant la pause de midi. J’avais tellement envie de bien faire que j’ai eu du mal à comprendre. Plutôt que de leur imposer ma vision pour prendre soin de l’équipe, j’ai changé de posture pour leur demander de quoi elles avaient besoin.

Vous utilisez systématiquement le terme « collaborateur ou collaboratrice » plus que « salarié » ou « employé ». Est-ce volontaire ?

Oui, le terme est choisi. Cela correspond à une posture et non un simple effet de communication. Nous collaborons à un projet partagé. Le statut de chacun est seulement administratif. En équipe, la complexité des relations humaines est facilitée par des rapports de coopération.

Et que faire quand une collaboration s’arrête ?

Prendre du recul, sans jugement ni regret ! Chaque personnalité est différente et c’est le mix des regards et compétences de chacun qui concourt à une équipe unique. Les collaborations qui se terminent font aussi grandir.

 

Pascale Croc en quelques chiffres

  • 50 ans
  • Viticultrice à Thézac (17)
  • Installée depuis 1997
  • En EARL avec son époux
  • 3 collaboratrices avec 20 ans, 12 ans et 3 ans d’ancienneté
  • 3 CDI en temps partagé à l’année avec le vignoble voisin via un groupement d’employeurs

Témoignage à la cuma Val de Veude

« Montrer aux salariés qu’ils sont indispensables à la cuma »

Willy Braud est éleveur laitier avec trois associés au sein du gaec de la Varenne (37). Il est aussi le référent des six salariés de la cuma Val de Veude, à Richelieu.

En période post-Covid, il observe un ralentissement de l’attractivité du métier de salarié. Aussi, pour les fidéliser, il livre quelques conseils : « Chaque lundi matin, j’organise une réunion avec les salariés de la cuma pour organiser la semaine. Qu’ils aient un seul référent du côté de l’employeur est essentiel, afin qu’entendre un seul et même discours. Il s’agit d’ouvrir le dialogue au quotidien, d’être pédagogue et de leur montrer qu’ils sont aussi importants que les adhérents. Ils contribuent au bon fonctionnement la cuma. Cela passe par la rémunération et la qualité du travail proposé, mais aussi la considération qu’on leur accorde.

En 2021, nous avons organisé deux journées d’échanges avec Sophie Bidet, conseillère en relations humaines et stratégie d’entreprise à la Chambre d’agriculture d’Indre-et-Loire. Les tests de personnalité devaient leur faire prendre conscience que les défauts des uns étaient compensés par les qualités des autres. Il ne s’agissait pas de se changer soi mais de comprendre comment mieux travailler ensemble avec des caractères différents. Le bilan a été très positif, avec un rééquilibrage des différentes personnalités au sein de l’équipe. »

 

La fidélisation des salariés passe par des rencontres régulières entre employeur et salarié

A la cuma Val de Veude en Indre-et-Loire, employeur et salarié se retrouvent tous les matins pour une réunion.

La trousse à pharmacie

Plusieurs leviers de motivation existent. Chaque collaboratrice ou collaborateur y est plus ou moins sensible. À l’employeur d’actionner les plus pertinents !

Une communication permanente

  •  J’écoute ce que le collaborateur (trice) a à me dire
  •  Je reformule pour m’assurer d’avoir bien compris
  • Nous cherchons ensemble une solution
  • Je remercie et je félicite lorsque le travail est bien fait

Un salaire adapté

  • Je me renseigne sur les salaires pratiqués selon les compétences de mon(ma) salarié(e)
  • Je rémunère correctement pour éviter qu’il/elle ne cherche mieux ailleurs
  • Je garde en tête que le salaire n’est pas le principal facteur de motivation

Une évolution possible

  • J’échange avec le salarié sur ses souhaits et besoins de formation
  • Je lui permets de partir en formation sereinement en organisant le travail
  • J’organise l’entretien annuel et si besoin un entretien de remotivation pour voir les adaptations possibles et les évolutions potentielles de cadre, de poste,…

Des conditions de travail agréables

  • Je propose un environnement confortable (toilettes, vestiaires, coin repas, douche,…) dédié à l’équipe, hors de mon habitation
  • J’assouplis l’organisation du travail pour s’adapter aux contraintes de chacun
  • Je veille à garder une ambiance conviviale (sans tomber dans le copinage)

Un cadre de travail personnalisé

  • Je suis attentif aux tâches confiées, en fonction du goût du/de la salarié€
  • Je développe la confiance pour déléguer progressivement certaines tâches
  • Je ne cherche pas à me débarrasser d’une tâche en la confiant à mon  (ma) collaborateur (trice)

Un traitement de fond ? Le DUERP

Le Document unique d’évaluation des risques professionnels (DUERP) est vécu par les employeurs comme une obligation réglementaire. Et il l’est, dès le premier salarié, même stagiaire.

Il passe en revue tous les risques professionnels, et les solutions mises en place pour éviter que ces risques se transforment en accidents ou maladies. Y compris les risques psychosociaux.

Cet outil intelligent peut devenir un outil de management très efficace : en dialoguant avec les salariés, l’employeur prouve qu’au-delà de son obligation légale, il prend soin d’eux.

Un levier puissant. Et d’autant plus intéressant que ce faisant, il identifie et prévient des risques professionnels pour lui-même… voire pour les adhérents de la cuma.

Le DUERP s’articule autour de 9 principes. Chacun de ces thèmes est autant de pistes à explorer pour améliorer les conditions de travail quotidiennes. Le mettre à disposition des salariés, en discuter et le faire évoluer en équipe va être gage d’un outil le plus adapté possible à l’entreprise, son secteur d’activité et sa réalité.

Éviter les risques, c’est-à-dire supprimer le danger ou l’exposition au danger Évaluer les risques, c’est-à-dire apprécier l’exposition au danger et l’importance du risque pour prioriser les actions de prévention à mener Combattre les risques à la source, dès la conception des lieux de travail, des équipements ou des modes opératoires Adapter le travail au collaborateur ou collaboratrice, en tenant compte des différences individuelles, dans le but de réduire les effets du travail sur la santé

Pour plus d’informations, retrouvez aussi ces articles sur www.entraid.com

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