Dans la France périphérique, on ne veut plus voter pour des « rigolos »

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Dans la France périphérique, on ne veut plus voter pour des « rigolos »

François Fillon, Emmanuel Macron, Jean-Luc Mélenchon, Marine Le Pen et Benoît Hamon lors du débat diffusé lundi 20 mars sur TF1.

"Tous les mêmes" : à l'approche de la présidentielle, la rengaine se répand en Haute-Marne, terre rurale ancrée à droite, où des électeurs désenchantés par "les promesses" non tenues sont prêts à "essayer" le Front National.

« Le vote d’extrême droite, ça gonfle, je le vois bien dans ma clientèle », confie Damien Del-Ben, 52 ans, patron d’un café-restaurant à Eclaron-Braucourt-Sainte-Livière, bourgade frontiste située sur les rives du Der, plus grand lac artificiel d’Europe. A qui la faute ? Aux gouvernements qui font « trop de social » et qui « taxent » les travailleurs, à l’euro aussi qui a fait grimper les prix, selon ce tavernier aux bras tatoués qui raille aussi les programmes des « rigolos », Hamon et Macron en tête.

« Je suis plutôt de droite mais si je me retrouve avec un guignol facho à la tête du gouvernement, qui arrête de nous ponctionner et qui fait tourner les commerces, quelque part ça me va », lance-t-il, espérant « voir de son vivant la même chose que le Brexit en France ».

« Les électeurs sont devenus très volatiles et se comportent comme des consommateurs dans un supermarché, avec une logique court-termiste. Ils votent pour le candidat qui leur apportera une satisfaction personnelle assez rapide et en changeront si ça ne convient pas », souligne Camille Froidevaux-Mettrie, professeure de science politique à l’université de Reims Champagne-Ardenne.

« Le fossé entre la politique qui se fait par le haut et les préoccupations du peuple donne à certains le sentiment qu’on ne les considère plus », ajoute-t-elle.

Dans le village de Brousseval, le choix du candidat à la présidentielle est déjà plié pour la majorité des ouvriers de la fonderie qui tourne depuis 1830. Avant d’entamer ses 3×8, Pasa Ertugrul, 29 ans, assure : « J’ai voté Sarkozy, on n’a rien eu, j’ai voté Hollande on n’a rien eu, alors je voterai Le Pen et on verra bien. Dans le coin les usines ferment, alors elle est où, l’évolution de la France ? Après, qu’elle soit raciste ou pas, c’est son problème. »

Enraciné localement, le FN a fait de la Haute-Marne son fief en choisissant Brachay – une cinquantaine d’âmes et 72,09% des voix au premier tour de la présidentielle de 2012 – pour sa rentrée politique annuelle.

Comme Trump

Pourtant sur le marché de Saint-Dizier, ville la plus peuplée du département avec environ 25.000 habitants, Marie R., 82 ans, médecin à la retraite, brocarde la candidate frontiste : « Marine, c’est une baratineuse, elle endort les gens. Moi, ça me fait peur ». Du côté des commerçants, Gérard Guérinot, 60 ans, fromager, attend « de l’action car c’est pas le tout de faire des promesses, il faut les tenir comme Trump aux Etats-Unis ». Nicolas V., boucher de 43 ans, s’est résigné : « Je vote blanc car y en a pas un pour rattraper l’autre ».

« Le vote d’extrême droite est souvent ramené à la peur liée à l’immigration » mais sur ces terres où les étrangers sont peu nombreux, il trouve plutôt sa source dans un profond malaise du monde rural, qui souffre de « la déconnexion des élites » et de « leur incapacité à proposer des programmes applicables », analyse Camille Froidevaux-Mettrie.

Aux yeux de Jean-Marcel Buat, président des Jeunes Agriculteurs Nord Haute-Marne, le prochain locataire de l’Elysée devra faire preuve « d’agissement » – il veut dire « action » – et non de « compassion », car « en attendant ça se suicide et les fermes vont mal »« Tout se passe à Bruxelles, il faut que la France reprenne un rôle majeur et que notre politique agricole ne soit plus européenne », estime cet agriculteur de 26 ans qui ne s’est pas versé de salaire l’année dernière. Et d’ajouter : « On n’est pas des mendiants, on veut juste gagner notre vie ».