Les prestations complètes ont la cote   

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Les prestations complètes ont la cote   

Une ETA sur deux effectue des prestations complètes. Et beaucoup d’entre elles se déclarent en capacité de traiter dans le même temps les questions agronomiques : suivi de cultures, application des intrants, choix d’assolement…

En 10 ans, le nombre d’ETA pratiquant la prestation complète, est passé de 34 à 50 %. L’appel à des prestataires de services pour réaliser l’ensemble des travaux culturaux se développe. Cela intéresse des agriculteurs aux profils différents. Cependant, cette tendance soulève des enjeux juridiques et économiques. En même temps qu’elle interroge sur la réalité du métier d’agriculteur, lorsque l’ensemble des chantiers et du suivi des cultures sont confiés à un tiers.

Les gains de productivité en agriculture impressionnent. En 10 ans, on compte 208 000 travailleurs en moins. La main-d’œuvre familiale domine toujours, mais la part des salariés permanents augmente. En une décennie, leur nombre a progressé de 10 % pour atteindre 170 000. Mais le travail des champs peut se faire aussi dans le cadre de délégations de travaux confiés à des ETA ou à des cuma.

En 2010, le volume de travail réalisé par les ETA était estimé à 10 700 ETP (équivalent plein temps) selon Agreste. En 2020, les chiffres sont de 14 800 ETP (+39%). La progression du volume de travail réalisé par les cuma progresse aussi. La fncuma évalue le nombre d’ETP cuma correspondant à 2300 en 2021. Environ deux tiers des exploitations ont recours aux services de prestataires. Souvent, cela concerne une partie des travaux des travaux de culture. Cette démarche évite d’investir soi-même dans des équipements coûteux.

50 % des ETA font des prestations complètes

Désormais, cette pratique est de plus en plus mise en œuvre de façon intégrale. Les résultats d’une enquête menée auprès des entrepreneurs dans le cadre du dernier salon des ETA, en décembre 2023, attestent du développement des ETA appelées ‘Full service’. La moitié d’entre elles déclarent réaliser des prestations complètes en 2023. C’était seulement un tiers dix ans plus tôt. Certaines d’entre elles ne se contentent pas d’assurer tous les chantiers, du semis jusqu’à la récolte. Elles prennent aussi des décisions relatives au choix d’assolements, à la conduite des cultures et à la gestion des intrants. L’étape d’après est d’embaucher un agronome pour suivre les cultures des clients. On voit même certains prestataires réaliser la gestion administrative et la déclaration PAC.

Des exploitations qui mutent, des attentes qui changent

Cette tendance s’inscrit dans un contexte où les exploitations se transforment. Les capitaux d’exploitation sont de plus en plus lourds à reprendre. Alors qu’apparaissent de nouvelles productions alternatives qui mobilisent beaucoup de moyens, type circuits courts ou énergies renouvelables. Enfin, la représentation qu’on se fait du métier d’agriculteurs évolue. Il n’est plus nécessaire de savoir absolument conduire un tracteur pour se sentir pleinement agriculteur !

Le développement des prestations complètes correspond à ces nouveaux profils d’exploitations, dont certaines se spécialisent, se diversifient, ou se réorientent. Et lorsque l’exploitant en fin de carrière souhaite levier le pied en attendant de transmettre son outil, il peut juger plus intéressant de faire faire le travail en gardant les aides PAC et les recettes liées à la vente des produits, plutôt que de louer les terres. Par ce biais, il garde aussi la maîtrise du foncier, contrairement aux dispositions du bail rural, jugées souvent trop contraignantes. On voit enfin de plus en plus d’agriculteurs pluriactifs reprendre l’exploitation parentale, sans avoir les outils, le temps et la connaissance pour assurer eux-mêmes les travaux. Pour les uns et les autres, l’alternative est alors de confier à des prestataires, jugés fiables, la réalisation entière des travaux de manière à se concentrer sur d’autres priorités

Logique de sous-traitance…

L’exploitation délégante procède alors comme une quelconque PME qui préfère sous-traiter tel ou tel volet de son activité pour laquelle elle estime ne pas être rentable. Ce phénomène peut aussi s’accompagner d’une réorganisation des structures de production : « Cela concerne des exploitations où le capital et la gestion sont dissociés avec un emboîtement de plusieurs sociétés : pool d’ETA pour le travail en sous-traitance, sociétés de conseil-gérance qui contrôlent même les décisions stratégiques, tout en assurant la gestion économique, agronomique, commerciale et administrative », décrypte le sociologue François Purseigle.

Failles juridiques ?

Certaines failles juridiques peuvent toutefois fragiliser cette démarche. La prestation intégrale pourrait être apparentée à la pratique illégale de la sous-location si le prestataire jouit d’une autonomie totale. Le droit de préemption du fermier peut éventuellement être contesté, dans la mesure où l’on prouve qu’il ne participe pas aux travaux de l’exploitation « de façon effective et permanente », comme c’est prévu dans le code rural. Le renouvellement automatique du bail et la faculté de céder celui-ci dans le cadre familial peuvent alors être remis en cause.

Pour éviter ce risque, il convient de formaliser le contrat de prestation en bornant la responsabilité du prestataire par une validation régulière du preneur dans l’exécution des travaux, prouvant que celui-ci conserve la maîtrise de son exploitation. Plus globalement, cette tendance interroge la notion de ‘chef d’exploitation agricole’. Depuis 2018, ceux-ci sont recensés dans un registre officiel, dont l’un des objectifs est de circonscrire le versement de certaines aides publiques aux seuls agriculteurs ‘actifs’.

Impact sur les territoires

La montée en puissance des prestations complètes peut générer des impacts défavorables sur la valeur ajoutée, et de la diversité agricole sur les territoires, avec l’agrandissement des exploitations et l’abandon de l’irrigation par exemple. Frank Michel, agroéconomiste à la Chambre d’agriculture de Nouvelle-Aquitaine, qui s’exprimait à l’AG de la fdcuma des Deux-Sèvres le 8 décembre, a cité l’exemple du bassin du Curé (Charente-Maritime). Sur ce bassin émergent des groupes d’exploitations de plus de 1 500 ha au total, ayant recours à l’ETA de A à Z. « Ces ETA captent la totalité du revenu de leurs clients avant les aides PAC, lesquelles rémunèrent seules ces clients. Les systèmes d’ETA ne dépendent ni de l’irrigation, ni de la propriété du foncier. Elles ne rencontrent donc pas de frein à leur développement dans un contexte de demande croissante en raison du départ à la retraite d’agriculteurs. Elles adoptent un système d’achat groupé des intrants. Elles investissent dans du stockage, du séchage, du tri… Elles agrandissent leurs propres exploitations en reprenant les terres d’une partie de leurs anciens clients avec des systèmes très mécanisés, de grandes parcelles, des rotations courtes… »

Franck Michel, agroéconomiste, Nouvelle-Aquitaine-Deux-Sèvres

Optimisation des coûts de chantiers

Le recours à la prestation complète n’est pas dénué d’arguments économiques. En effet, les coûts de mécanisation peuvent aller du simple au double. De 256 à 535 €/ha selon le rapport publié par le CGAAER pour les exploitations agricoles françaises (avril 2021). On considère que des économies de charges de mécanisation seraient possibles pour beaucoup d’entre elles en ajustant les chaînes de matériels aux surfaces à cultiver. Une meilleure articulation ‘tracteur/outil/chauffeur’ peut générer en effet des gains de productivité, grâce à des chauffeurs qualifiés pour conduire des matériels complexes, et des chantiers bien coordonnés entre eux.

Des coops parties prenantes

Sur le terrain, des coopératives se positionnent aussi sur ce créneau en partenariat avec des ETA. Pour les coops concernées, cela peut être un moyen de préserver leurs outils industriels de collecte et d’approvisionnement. Elles pilotent la conduite des cultures. Certaines d’entre elles entrent même au capital des exploitations en voie de transmission, pour assurer un portage temporaire, le temps de trouver un repreneur.

Pour le groupe Euralis, qui propose la prestation Sérénité et Sérénité+, il s’agit essentiellement de proposer un appui à l’exploitant demandeur. Le premier niveau ‘Sérénité’se veut une aide au pilotage de la stratégie technico-économique : objectifs techniques, choix d’assolement, itinéraires des cultures, appros, mise en marché, bilan technico-économique de fin de campagne. Et au pilotage de la culture : suivi technique, accompagnement à la réalisation des cahiers des charges des filières, HVE et AB, planification des opérations au champ, assurances, suivi des sinistres et des expertises aléas climatiques. L’agriculteur continue toutefois de s’occuper de ses cultures, sur la base de recommandations de son conseiller d’exploitation.

Alain Del Rio, Euralis

Le niveau ‘Sérénité+’ va plus loin ; cette formule ‘all inclusive’ intègre une délégation des travaux. Euralis opère comme un chef des cultures. Il gère le suivi des cultures, mandate et pilote un prestataire (ETA ou cuma) pour les travaux agricoles. « Dans les deux cas, tous les choix et décisions sont validés par l’agriculteur », appuie Alain Del Rio, du groupe Euralis. Au total, 180 agriculteurs ont souscrit à ces formules qui prévoient naturellement que la collecte et l’achat d’intrants se fassent avec Euralis. Parmi eux, figure Agnès Saphores, productrice dans la Vallée de l’Adour de 45 ha de maïs grains et 9 ha de kiwis, qui génèrent une bonne partie de la valeur ajoutée de l’exploitation. « Installée en 2020, j’ai dû faire face à la maladie puis au décès de mon père, qui auparavant s’occupait de la production de maïs. Je n’étais pas en capacité d’assurer moi-même avec mon salarié tout ce travail, d’autant plus qu’au printemps, la plantation de kiwis nécessite beaucoup de temps. Il eut fallu pour s’en occuper payer un salarié. J’ai donc préféré la solution Sérénité pour laquelle j’ai signé un contrat. Je suis en contact régulièrement avec le conseiller au cours de l’année pour la mise en œuvre de la culture », détaille l’agricultrice. Le conseiller contracte avec une ETA la réalisation de tous les travaux. Agnès Saphores est seulement sollicitée pour le transport de la récolte. 

Les cuma peuvent être bousculées par l’émergence des prestations complètes. Des exploitations peuvent en effet opter pour cette solution, qui les dégage de toute implication dans la réalisation des travaux agricoles et le suivi des cultures. à terme, ce sont des surfaces en moins qui peuvent compromettre la pérennité des activités en place.

Des cuma interpellées

Certaines d’entre elles ont pris les devants, en proposant elles aussi des prestations complètes à des conditions attractives. Y compris avec l’intervention de salariés en mesure d’apporter des conseils appropriés sur la conduite des cultures. Ainsi, à la jeune cuma des Granitiers (Côtes-d’Armor), Nicolas Maingueno met son expérience et ses connaissances en agronomie au service des adhérents, en plus de la conduite des matériels.

Cet élargissement de la palette de services qu’apportent les cuma est une orientation que défend Antoine Vivien, ancien président du comité Calvados de la fédération des cuma de Basse-Normandie, qui s’exprimait en avril 2018 dans les colonnes d’Entraid’. « Mettre en commun du matériel pour optimiser le coût fait déjà partie de notre quotidien. Mais dans l’avenir, déléguer l’entretien, la gestion des interventions et le suivi des cultures sera sûrement une évolution majeure dans les groupes. » La métamorphose actuelle du monde agricole incitera probablement de nombreuses cuma à se poser la question.

Certaines cuma ont pris le parti de réaliser des prestations intégrales comme la cuma Ceres dans l’Indre (photo ci-dessus) dont les chantiers sont réalisés exclusivement par des salariés dans le cadre d’assolement en commun, entre 14 exploitations

Pour plus d’information, retrouvez aussi ces articles sur www.entraid.com :

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