La fête est finie. Date prévue : le 1er janvier 2026. Les agriculteurs français risquent de se réveiller avec une gueule de bois. Comme un goût amer d’une mauvaise boisson, ils devront probablement payer plus cher leurs engrais. En effet, une taxe va venir peser sur leurs approvisionnements en engrais et se répercuter sur leurs marges. Une conséquence d’un mécanisme de protectionnisme instauré par l’Union européenne qui ambitionne d’être précurseur de la transition écologique à l’échelle mondiale.
Qu’est-ce que cette taxe sur les engrais ?
C’est une taxe qui s’appliquera dès 2026 pour l’importation d’engrais azotés ou de matières fertilisantes qui ne proviennent pas de l’Union européenne. Elle fait partie des mécanismes d’ajustement carbone aux frontières (MACF).
« Ce surcoût concerne 32 types d’engrais, explique Quentin Mathieu, économiste chez AgrIdées. Avec notamment l’urée, le nitrate d’ammonium, la chlorure de potassium et des engrais finis avec deux ou trois éléments fertilisants. » Bref, une bonne partie des engrais utilisés en France sont concernés. D’autant plus qu’on estime que plus de deux tiers des engrais sont importés de pays hors de l’Union.
Pour les engrais de fond, phosphore et potasse, cette proportion augmente pour avoisiner les 100 % puisque nous n’avons pas de gisement. Le montant de cette taxe reste nébuleux, mais le surcoût sur une tonne pourrait avoisiner les 144 €/T. Une fourchette a été établi entre 50 à 150 €/t. Le montant devrait être annoncé en avril. Ici, on ne parle pas d’une petite taxe.
Quelles sont les conséquences pour les agriculteurs ?
Toutefois, « si cette taxe s’était appliquée en 2024, le montant de la redevance serait équivalent à 300 millions d’euros, calcule l’économiste. Sur les 1,2 milliard d’euros importés de pays tiers, cela représente 27 %. » Une taxe, rappelons le, payée par les industriels ou distributeurs.
Si le syndicat des industriels des fertilisants assure une répartition de cette taxe sur toute la filière, les agriculteurs ne se font pas d’illusion. « Ces industriels français n’ont pas une grande marge de manœuvre, le surcoût sera probablement répercuté chez les distributeurs puis les agriculteurs, estime Quentin Mathieu. Il va falloir encore définir la clé de répartition, et là encore, ce sera au bon vouloir et selon la stratégie des fournisseurs d’engrais. Mais à la louche, en prenant les données de la ferme France, ces taxes pourraient augmenter les charges de 20 €/ha. »
Des frais supplémentaires qui ne risquent pas d’être répercutés sur les prix de vente de céréales ou d’oléoprotéagineux.
Qu’en sera-t-il des engrais européens ?
Difficile de la prédire, mais « la faible disponibilité de ces engrais et le coût élevé de ceux importés risque de créer une inflation majeure », prédit l’économiste. Car si le but de ces taxes est de favoriser la compétitivité des engrais européens et ainsi booster leur production, les industriels ne sont pas en capacité de combler le manque.
Il faut avoir en tête que les matières premières pour la fabrication d’engrais azoté sont le gaz et l’électricité. Et en la matière, la France et les européens sont très dépendants des pays tiers et leur utilisation reste très couteuse. Par ailleurs, l’Europe ne dispose que de très faibles ressources en phosphate et en potassium.
« Les usines européennes ne sont pas compétitives, les engrais qu’elles fabriquent coûtent deux à trois fois plus que des engrais importés, ajoute Pierre Hamon, co-gérant chez Efika, une entreprise française d’assemblage d’engrais et biofertilisants. Et pour construire une usine d’engrais, il faut compter 20 ans au moins. » On peut donc faire une croix sur les engrais européens.
Quel est le but de la commission européenne d’instaurer un tel dispositif ?
Ce sont clairement des mesures de protectionnisme. L’ambition de Bruxelles est d’être le précurseur de la décarbonation des activités industrielles. Pour cela, elle incite les pays à décarboner leurs industries telles que les fabricants d’acier, d’aluminium, d’électricité au charbon ou encore d’engrais en créant des quotas de carbone et en les échangeant. Cela implique que ces industries aient réalisés leur bilan carbone.
« On est dans un mécanisme de pollueurs payeurs, précise Quentin Mathieu. Le but est avant tout de faire changer les manières de produire et de s’approvisionner. Mais forcément, lorsqu’on contraint une usine à émettre moins de carbone, on limite ensuite la production et on fabrique que ou on importe la marchandise en dehors de l’Europe. »
Depuis 2020, la commission européenne tente de réguler cette fuite de carbone en protégeant ces industries. Cela passe par les mécanismes d’ajustement carbone aux frontières.
Qui pâti de cette taxe sur les engrais ?
Depuis l’annonce de ces taxes, les cours des engrais progressent rapidement. Pourtant, la taxe n’est pas encore appliquée. « Les distributeurs d’engrais adoptent la stratégie qu’ils souhaitent, mais ils doivent choisir entre l’attentisme ou l’anticipation », précise l’économiste.
« Les importateurs travaillent en masse, leur marge atteint à peine les 10 €/t, fait remarquer Pierre Hamon. Du coup, ils ne prennent pas le risque de commander de l’engrais et de le recevoir après le 1er janvier en s’aquittant d’une taxe dont on ne connait pas le montant. Tout le monde est donc à l’arrêt. »
Les coopératives et négoces qui ne préfèrent pas communiquer sur le sujet, adoptent leurs stratégies au regard de leurs concurrents. « Sans parler des prix, on va avoir un manque de marchandises, estime Pierre Hamon. Cela fait plusieurs mois qu’il ne se passe rien et que le prix de l’engrais azoté monte. »
Parmi les détracteurs de ces mécanismes, on compte bien sûr les agriculteurs, mais aussi les pays exportateurs tels que les États-Unis. « Ils nous attendent au tournant, estime Quentin Mathieu. Ils sont prêts à saisir l’OMC (organisation du commerce) pour distorsion de concurrence. »
Quelle stratégie peut adopter les agriculteurs ?
Cette annonce de taxe n’est pourtant pas récente, elle a été annoncée il y a plus de trois ans. « Si les agriculteurs n’ont pas fait évolué leur rotation, il vont devoir s’approvisionner en engrais et fertiliser ses cultures jusqu’au bout, fait remarquer Pierre Hamon. Je leur préconiserai de s’approvisionner à hauteur de 20 % en bio solution. Et de se couvrir pour le reste en engrais le plus tôt possible. Je ne pense pas que les cours des engrais azotés reviendront à la baisse d’ici le printemps, nous avons plus d’un mois de retard d’importations. »
Mais par le biais des syndicats, les agriculteurs dénoncent un non-sens économique. À l’image de la FNSEA, qui « exige le report immédiat de cette taxe, car il s’agit d’une question de survie pour notre agriculture. » Elle dénonce également un mauvais timing alors que les céréaliers français subissent de plein fouet des prix de vente aux plus bas depuis trois ans. Période peu propice pour instaurer ce type de taxes, relève l’économiste. « L’Europe est dans une crise politique et économique, considère-t-il. Elle veut être le précurseur de la décarbonation, mais elle reste très faible face à ses homologues des autres pays. »
Finalement, c’est un mécanisme de clause miroir que plébiscite les agriculteurs depuis plusieurs années. Mais appliquées uniquement à leurs approvisionnements, on peut estimer qu’ils sont victimes du protectionnisme européen. « Si les céréales françaises étaient aussi protégées que les engrais européens, on serait dans un cercle vertueux avec une augmentation de valeur pour chacun des produits, estime un agriculteur sur le sujet. Mais ce n’est pas le cas. Nos denrées agricoles produites de manières plus vertueuses ne seront pas valorisées à leur juste titre. »
Même avec la meilleure volonté du monde, cela reste un travail à moitié fait !
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