Fraude au détachement : que risquent les agriculteurs ?

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Fraude au détachement : que risquent les agriculteurs ?

Les productions agricoles ayant recours au travail détaché : maraîchage, arboriculture , viticulture, agriculture bio (moindre recours aux intrants).

Quatorze exploitations agricoles ont été contrôlées dans le cadre du détachement de salariés. Les enquêteurs savaient où ils allaient. Que risquent les agriculteurs ?

Des opérations de contrôle de grande ampleur se sont déroulées dans les régions Provence-Alpes-Côte-d’Azur, Auvergne-Rhône-Alpes, Occitanie, Hauts de France, Corse et Nouvelle-Aquitaine au cours du mois de juin 2017, fruit d’un long travail préparatoire d’investigation*.

Une quarantaine d’agents ** ont opéré, au sein de 14 exploitations agricoles, des contrôles portant sur les conditions de travail et d’hébergement, sur la régularité d’emploi des salariés d’un gros opérateur d’intérim espagnol intervenant dans le cadre affiché du détachement de salariés.

Perquisitions, gardes à vue, interceptions téléphoniques ont été réalisées avec, à la manœuvre, la brigade mobile de recherche du Vaucluse. Et le verdict est clair : mise au jour d’un « système collectif et organisé de fraude au détachement, de travail dissimulé, de prêt illicite de main d’œuvre et de marchandage qui perdure depuis plusieurs années », infractions passibles de 100 000 euros d’amende et de dix ans d’emprisonnement.

200 salariés concernés

Plus précisément, ont été mis en évidence « une violation manifeste et organisée des droits fondamentaux et des abus de la vulnérabilité d’environ 200 salariés présents sur le territoire national, majoritairement ressortissants de pays extérieurs à l’Union Européenne », avec notamment « des durées de travail allant jusqu’à 260 heures mensuelles sans repos hebdomadaires, des salariés qui travaillent 30 jours/30, plusieurs mois consécutifs, ou le non-respect des règles sociales d’ordre public tel que le SMIC ».

Pour le moment, la procédure judiciaire est couverte par le secret de l’instruction, précise Eric Pollazzon, de l’Unité départementale des Alpes-de-Haute-Provence de la Direccte.  » Je ne peux pas donner de précisions sans déflorer l’affaire », précise-t-il.  « Ce que je peux vous dire c’est qu’à supposer que des responsabilités soient retenues par le Justice, les infractions sont celles prévues par le Code du travail en matière de lutte contre le travail illégal. »

Si la justice tranchera, « le principe de la responsabilité solidaire peut être retenu, dès lors qu’il serait démontré qu’il y aurait des agissements frauduleux de part et d’autre », ajoute-t-il.

Réponses de la Direction générale du travail

Qui est responsable du respect des règles en matière de travail : l’entreprise de travail temporaire ou bien les agriculteurs ?

Le secteur agricole ne déroge pas au principe de la responsabilité de l’entreprise utilisatrice ( l’agriculteur ou une société civile agricole, Scea, Gaec, Earl, Sep), lorsqu’elle est cosignataire d’un contrat de mise à disposition défini à l’article L. 1251-1 1° du code du Travail, avec une entreprise de travail temporaire établie à l’étranger.

La signature de ce contrat emporte la responsabilité de l’entreprise utilisatrice à l’égard du salarié mis à disposition, sur les conditions d’exécution du travail de ce dernier, et eu égard une liste fermée déterminée à l’article L. 1251-21 du code du Travail :

  • Durée du travail
  • Travail de nuit
  • Repos hebdomadaire et respect des jours fériés
  • Santé et sécurité au travail
  • Travail des femmes, des enfants et des jeunes travailleurs

S’agissant du point spécifique de la rémunération, l’entreprise de travail temporaire demeure responsable du paiement du salaire (en tant qu’employeur du salarié détaché) dans le respect des dispositions légales et conventionnelles françaises (cette disposition fait partie intégrante de la notion de « noyau dur garanti » défini à l’article L. 1262-4 du code du Travail).

Qu’encourent les agriculteurs qui ont été contrôlés et se trouvent en infraction?

En cas d’infraction constatée dans les matières énumérées ci-dessus, la responsabilité de l’entreprise utilisatrice peut être engagée sur les points l’article L. 1251-21 du code du travail, c’est-à-dire durée du travail, travail de nuit, repos hebdomadaire et respect des jours fériés, santé et sécurité au travail, travail des femmes, enfants et jeunes travailleurs.

Par ailleurs, sur les sanctions encourues par les agriculteurs qui ont été contrôlés et se trouvent en infraction, et eu égard aux particularités du secteur agricole en matière d’hébergement et notamment si des constats de l’Inspection du travail font ressortir des conditions d’hébergement incompatibles avec la dignité humaine, à défaut de régularisation par l’employeur, le donneur d’ordre pourra être tenu de prendre à sa charge l’hébergement collectif des salariés, dans des conditions respectant les normes du Code du travail ou du Code Rural.

Par ailleurs, ils s’exposent aux risques de sanction administrative (amende administrative /arrêt temporaire d’activité par préfet).

Quelles sont ces règles ?

Le principe pour ces salariés détachés dans les secteurs agricoles est, comme pour tous les salariés détachés, l’applicabilité de la réglementation française (dispositions légales et stipulations conventionnelles de la branche d’activité considérée si existante et plus favorable, à savoir les conventions et accords collectifs étendus).

  • Sur le salaire (à respecter par l’Entreprise de travail temporaire employeur) : la rémunération perçue doit être au moins égale au SMIC ou au minimum conventionnel applicable s’il est plus favorable (salaire = montant brut + avantages en nature + compléments de salaires + primes + allocations propres au détachement, etc.)
  • Sur les horaires : règles légales (L. 3111-1 et suiv), réglementaires et conventionnelles, relatives à la durée du travail, durée maximale journalière et hebdomadaire et repos hebdomadaire
  • Sur les conditions de travail : le principe est le même que pour les horaires et le salaire, se rapportant aux chapitres spécifiques du code du travail ainsi qu’aux stipulations conventionnelles.
  • Sur l’applicabilité des stipulations conventionnelles : il n’est pas possible ici de préciser des dispositions homogènes en matière de stipulations conventionnelles, le secteur agricole comprenant plus de 200 conventions collectives (étendues ou non).

Les conventions nationales étendues sont consultables sur LEGIFRANCE. Le site de la MSA dispose d’une page sur « Le  recours à la prestation de services, les précautions à prendre »

Quelles productions sont concernées ?

Les productions agricoles principalement connues comme ayant recours au travail détaché sont notamment les secteurs du maraîchage / arboriculture (arboriculture fruitière notamment pour le ramassage de fruits  de la viticulture, mais aussi la culture biologique (cela peut s’expliquer par un recours accru à la main d’œuvre du fait de l’usage limité des produits phytosanitaires).

Les entreprises étrangères qui détachent en France dans le secteur de l’agriculture sont principalement originaires de l’Europe du sud (péninsule ibérique) et d’Europe Centrale et Orientale (PECO) notamment de Bulgarie et de Roumanie.

Les contrôles de l’inspection du travail des situations de détachement illicites de travailleurs étrangers, déjà très soutenus se poursuivront avec la même volonté, tant dans le secteur de l’agriculture que dans les autres secteurs touchés par ces pratiques.

* réalisé en amont par l’URACTI de la DIRECCTE Paca,

** des services de l’Inspection du Travail (sections agricoles) et des Unités Régionales d’Appui et de Contrôle en matière de lutte contre le Travail Illégal (URACTI), de la Direction Zonale de la Police aux Frontières Sud à Marseille assistés d’interprètes et, pour les départements des Pyrénées orientales, de l’Hérault, et de la Gironde, appuyés par les membres des CODAF (Comité Opérationnel Départemental Anti-Fraude)