Un an après, la crise agricole ne faiblit pas

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Un an après, la crise agricole ne faiblit pas

Un an après l'été 2015, enflammé par les mobilisations d'éleveurs étranglés par la baisse des prix, la crise agricole reste dramatique mais la tendance est désormais moins à la manifestation qu'à la gestion du désespoir.

Mont Saint-Michel, grotte de Lascaux, pont de Normandie: à la mi-juillet 2015, les images de tracteurs bloquant l’accès à des sites emblématiques ou à de grands axes routiers, surtout dans l’Ouest, sont sur tous les écrans. Initiées par le premier syndicat agricole, la FNSEA, les actions culminent début septembre avec le déferlement de 1.500 tracteurs sur Paris.

A la pointe de la contestation, les éleveurs. Acculés par l’effondrement des prix d’achat de la viande et du lait, incapables de couvrir leurs frais, encore moins de gagner leur vie décemment. Le porc souffre de l’engorgement du marché provoqué par l’embargo russe. Le lait est en pleine surproduction après la fin des quotas européens. Pour calmer la fronde, le gouvernement propose le 22 juillet un plan d’urgence de 600 millions d’euros, porté ensuite à 700 millions. Objectif: soulager la trésorerie des éleveurs, notamment via des allègements de cotisations sociales et d’impôts. La France obtient aussi 63 millions d’euros d’aides européennes, sur les 500 millions accordés aux Etats par une Commission longtemps aux abonnés absents.

Pour tenter de faire remonter les prix, le ministre de l’Agriculture Stéphane Le Foll organise des tables rondes réunissant agriculteurs, industriels et la grande distribution. Mais les fabricants de jambon ou de yaourts n’appliqueront jamais vraiment l’accord, invoquant la pression commerciale et la concurrence européenne.

Epuisement moral

Les manifestations ont pris fin à l’automne, mais pas la crise, toujours là en sourdine. Les cours du porc ont récemment grimpé en flèche grâce à l’explosion de la demande chinoise. Mais cette bouffée d’oxygène pourrait ne pas durer. Le prix du lait continue son plongeon (-10% sur un an). Bruxelles a annoncé cette semaine une nouvelle enveloppe d’aide de 500 millions, censée incitée les éleveurs à réduire leur production, notamment en Europe du Nord. Mais les syndicats français restent sceptiques sur son efficacité.

Surtout, les preuves de l’épuisement moral des agriculteurs se multiplient. Les appels au numéro anonyme de prévention du suicide Agri’écoutes sont passés de 90 par mois fin décembre, à environ 300 début 2016. Ce ne sont plus seulement des agriculteurs isolés et célibataires qui téléphonent, mais des familles entières en détresse, note la Mutualité sociale agricole (MSA). Autres signes négatifs: les demandes de prime d’activité – l’équivalent du RSA – ont doublé en 2015. Les défaillances d’entreprises agricoles sont en hausse de 9% sur un an au deuxième trimestre, un chiffre qui grimpe à 22% pour les élevages, selon le cabinet Altares.

Quitter dignement le métier

« On voit bien que certains de nos collègues sont usés et fatigués de faire ce métier », soupire André Bonnard, responsable de la branche lait de la FNSEA. D’ailleurs, le travail des cellules départementales chargées de mettre en œuvre le plan d’urgence du gouvernement consiste parfois plutôt à « permettre aux gens de quitter dignement le métier«  lorsque la situation est trop critique, explique le syndicaliste. Certains, proches de la retraite et locataires de leur ferme, préfèrent travailler en intérim. Des quadragénaires laissent tout tomber après avoir remboursé leurs emprunts. Presque un luxe, comparé aux jeunes éleveurs lourdement endettés après avoir modernisé leur ferme et piégés par les prix du lait trop bas pour rentabiliser leur investissement. « Je n’entends que ça: ‘je regrette d’avoir construit un nouveau bâtiment’. Quand les emprunts sont là, les gens continuent à produire même si c’est à perte », explique Véronique Le Floc’h, responsable lait de la Coordination rurale. En parallèle, la douceur de l’hiver suivie des pluies record du printemps ont déclenché de graves crises de production dans les filières fruits-légumes et céréales, menaçant les trésoreries.

Pas de mot d’ordre à manifester

Si les syndicats assurent toujours se battre pour faire remonter les prix, l’optique a changé. Pas question pour la puissante FNSEA de relancer de grandes manifestations. « Il peut y avoir des mouvements spontanés mais il n’y a pas de mot d’ordre. Je ne souhaite pas qu’on en vienne à des mouvements, mais plutôt qu’on réfléchisse à la manière la plus optimale de gérer cette crise très grave« , explique à l’AFP son président Xavier Beulin. La FNSEA prépare pour fin août un « plan d’envergure », doté d’un volet consacré à la reconversion professionnelle et à la pré-retraite.

L’agriculture continue malgré tout de susciter des vocations: les installations de nouveaux éleveurs sont stables depuis 2011, tout comme les inscriptions dans l’enseignement agricole, selon le ministère.