Colette Marchal, une Vosgienne dans le vent

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Colette Marchal, une Vosgienne dans le vent

Rencontre avec Colette Marchal.

Née dans une ferme des Hautes-Vosges où ses parents produisaient du munster, elle s’identifie toujours à cette agriculture de montagne, rude et attachante. Mais du haut de son élevage de chèvres du Thillot, elle a pris son envol pour s’ouvrir au monde.

On n’a pas emmené nos femmes à la manifestation du 3 septembre, c’est trop sérieux!» En entendant la phrase d’un collègue agriculteur, son sang ne fait qu’un tour: «Qu’est-ce que ça veut dire trop sérieux? Avec tout le travail qu’elles assurent! Un agriculteur sur trois est une femme aujourd’hui, il ne faut pas l’oublier.» Colette a été membre de la commission féminine à la Fdsea des Vosges, avant d’en devenir présidente parce qu’on la sollicite. Pas étonnant qu’elle ait saisi la perche, avec son parcours… Son diplôme de secrétaire médicale à peine en poche, elle comprend qu’il y a erreur et se réoriente vers un bac agricole. Elle se plait à rêver qu’elle va enseigner. La disparition précipitée de sa mère, après celle de son père, ne lui en laisse pas le temps. A la sortie de l’école, elle reprend seule la ferme familiale pour élever frère et sœur. Elle choisit les chèvres, plus faciles à conduire, et qu’elle a appris à connaître lors de son stage de fin d’études. En 1985, un dossier JA officialise son parcours, elle est chef d’exploitation.

Indépendante

Elle se passionne alors pour la fabrication du fromage de chèvres. Comme elle a le sens du contact, elle aime effectuer ses tournées, vendre en direct, livrer les clients, en particulier les restaurants. La reconnaissance professionnelle vient assez vite. Puis elle rencontre Christian, son futur mari, qui s’installe en gaec avec ses parents. A travers lui, elle retrouve veaux, vaches, munster… Question de nature ou habitude de prendre sa vie en main? Elle n’envisage pas d’abandonner sa propre ferme. Deux enfants plus tard, elle choisit de rapprocher son troupeau pour améliorer la qualité de vie de la famille. Elle garde son indépendance, ses tournées. Seule la commercialisation des fromages est mise en commun. A la retraite de son beau-père, elle finit par apporter son activité au capital social et rentre dans le gaec. Perchés à 750 m d’altitude sur la route des crêtes, ils accueillent les touristes.

Colette et l'association marocaine

Colette est partie au Maroc pour transmettre son savoir.

Du champ au Maghreb

Elle n’a pas de responsabilité en cuma, mais son mari est trésorier de celle des Fougères. Epandeur à fumier, remorques, fendeur de bûches et autres petits matériels… sont utilisés en commun. Elle s’investit plus dans le troupeau et la fabrication. Les munster Aoc, bargkass, tomes de chèvre, crottins, faisselles du gaec… sont réputés ! En commercialisation, elle poursuit les tournées et la vente directe lors de foires et manifestations, moins prenants et plus rentables que les marchés locaux. Malgré l’éloignement, les gens viennent acheter à la ferme, même le dimanche. Elle n’a jamais eu le temps de voyager loin : «Jusqu’à ce que mon beau-frère me présente une association qui aide les femmes au Maroc à mieux gagner leur vie.» On lui propose d’assurer une formation. Colette accepte, organise son absence et rejoint un petit village perdu en montagne, de l’autre côté de la Méditerranée. Une expérience inoubliable. L’agricultrice qui a toujours rêvé d’enseigner, se saisit bientôt d’une autre opportunité : «En petite Kabylie cette fois, un Esat en charge du travail des handicapés monte un projet d’élevage de chèvres. Est-ce que je peux venir assurer une formation de technique fromagère ?» Elle n’hésite pas, découvre, s’immerge, transmet, apprécie. «Ils m’appelaient la spécialiste, j’aime bien!»

Au contact

Avec ses collègues femmes du syndicalisme de Lorraine, naît un projet audacieux, celui qui leur tient le plus à cœur : «Engager des actions positives auprès du grand public pour lutter contre les stéréotypes, et faire apprécier nos métiers.» L’affiche avec le slogan «En Lorraine, nos agriculteurs sont dans le vent»  et ses produits dérivés naissent de cette concertation. Chacun se libère selon ses possibilités pour animer le stand à tour de rôle, que ce soit à la Foire de Nancy, de Verdun ou aux Terres de Jim à Metz.

Au départ en retraite de sa belle-mère, un nouvel associé prend le relais au gaec. Enfin presque : «Un nouvel associé n’est jamais le copié-collé du précédent, il faut que chacun arrive à remettre en perspective ses projets.» Pas toujours facile quand on croit à un simple jeu de chaises musicales. Malheureusement, la mésentente s’installe peu à peu et conduit le couple au divorce. Avec la fatigue des années, recommencer à zéro ne la tente pas. Son mari quitte la ferme. Elle relève le défi, choisit de rester. Une tranche de vie prend fin, commence une association plus subie que choisie.

Devenue membre de la commission féminine de la Fnsea, elle monte régulièrement à Paris. Mais les actions de terrain dans les Vosges ou en Lorraine lui tiennent plus à cœur que les réunions. «Les agricultrices ont encore tellement de mal à se mettre en avant! Bon nombre travaille encore avec le seul titre de conjointe. Et si 30% des agriculteurs sont des femmes, il n’y en a toujours que 2 sur 25 à siéger comme représentantes départementales. Mon métier m’a procuré d’immenses satisfactions. Mes trois enfants sont moniteurs de ski et mes trois petits-enfants trop petits pour songer à l’élevage. Pour les 6 ans qui me restent à travailler, je me rêve parfois formatrice.» En luttant contre le machisme, en dialoguant avec le grand public, ce rêve est déjà réalité.

Après tant de décennies entre l’élevage et son atelier, elle profite de ces moments d’échange comme autant de respiration. On dit du marin qu’il met sa voile «dans le vent» pour gagner un peu de vitesse. Bon vent à la spécialiste qui engage chacune et chacun à tracer son chemin!