« On nous retire l’assurance de produire »

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« On nous retire l’assurance de produire »

Avec une perte potentielle de surfaces consacrées à la betterave, c'est la survie des usines qui est en jeu.

L'interdiction des néonicotinoïdes impacte les agriculteurs dès la prochaine campagne, mais aussi les industriels de la transformation. Grégoire Omont, cultivateur de 45 hectares de betteraves dans l'Oise, témoigne.

« Je me doutais que la campagne 2024 serait compliqué mais je ne m’attendais pas à ce que celle de 2023 le soit aussi. La dérogation d’utilisation des néonicotinoïdes dans l’enrobage des semences devait prendre fin 2023, alors j’étais plutôt serein. » L’interdiction des néonicotinoïdes dès 2023 change la donne.

Déplafonner les rendements

Je cultive de la betterave depuis 13 ans et mon père avant moi en produisait déjà. Les 45 hectares sont emblavés depuis de nombreuses années avec des semences contenant des néonicotinoïdes. Ce traitement était devenu obligatoire avec les années, si je voulais déplafonner les rendements.

Cette année encore, j’avais prévu que la totalité des semences soit traitées. Cela faisait deux ans que j’avais adapté mon assolement pour répondre à la réglementation qui allait avec la dérogation. J’ai pour cela réduit mes surfaces de lin.

Je ne voulais pas prendre de risques. En 2020, la campagne betteravière était un enfer ! Il n’y avait certes pas de dérogation pour utiliser l’insecticides en préventif, mais la météo ne nous a pas aidé. Mes betteraves étaient toutes jaunes . J’ai pulvérisé plusieurs insecticides, sans réelle action sur la maladie. Elle arrive en fin de cycle et c’est toujours trop tard pour agir.

Tout dans la recherche pour remplacer l’interdiction des néonicotinoïdes

Malgré les mauvaises campagnes qui viennent de s’écouler, je ne suis pas si pessimiste que cela. Je ne m’attends pas à des miracles pour les deux prochaines années. Mais je crois en la recherche et j’ose espérer que nous aurons trouvé d’ici 2025 des alternatives. Les semenciers se sont d’ailleurs regroupés et mettent leurs moyens en commun pour y parvenir.

Comme chaque année, j’avais prévu de cultiver 45 hectares de betteraves, ce que je ferai au printemps… sans traitement de semences cette fois à cause de l’interdiction des néonicotinoïdes. J’ai signé des contrats avec les sucreries. Je ne peux pas y déroger. Je n’avais pas encore acheté mes semences, j’avais choisi les variétés, je vais me pencher de nouveau dessus.

Et il faut l’avouer, si la production de betteraves était moins lucrative ces dernières années, cela reste rentable sur une moyenne de dix ans. Si les céréales profitent de cours élevés en ce moment, ce n’est peut-être que passager. D’autant que nous devons soutenir aussi notre filière et approvisionner nos usines. Les baisses des surfaces sont très impactantes pour elles.

Préserver les usines

Si l’une ferme, on ne pourra plus jamais remettre de betteraves dans nos parcelles. Il faut préserver les sucreries. C’est cela qui m’inquiète davantage. L’usine d’Auvergne a bien fermé à cause des charançons qui étaient devenus incontrôlables… On va refaire la même chose à cause des pucerons ? En deux ans, deux usines ont fermé.

Sans parler de la concurrence avec nos voisins qui pourront utiliser d’autres types de néonicotinoïdes et qui pourront importer leur sucre en France, faute de pouvoir produire en quantité.

Pour cette année, la dernière solution pour maintenir les surfaces reste l’indemnisation. Sans l’assurance de produire en quantité grâce aux traitement de semences, il faut que le gouvernement nous aide. D’autant que le risque de jaunisse sur betteraves n’est pas couvert pas les compagnies d’assurance. Finalement, cette matière active, c’est une assurance de produire qu’on nous retire.

Au gouvernement de trancher

Mais ces indemnisations risquent également de coûter très cher au gouvernement. C’est à eux de prendre leurs responsabilités et de donner une direction. La balle est dans leur camp, nos élus doivent faire des choix.

Il faut l’avouer, nous sommes excédés de tout ! Le gestion des risques que nous prenons n’est pas du tout prise en compte. Les agriculteurs sont bien conscients qu’il faut réduire les IFT (indices de fréquence des traitements, ndlr) autant d’un point de vue économique qu’environnemental. Mais il faut nous donner les moyens, soit de réduire notre productivité, soit de prendre davantage de risques.

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