Pour notre fiction inversée autour de la féminisation de l’agriculture, Jonathan est une « fille manquée ». Enfant, il accompagnait sa mère sur le tracteur (jusqu’à ce qu’il grandisse. Il a fini par prendre trop de place dans la cabine). Il prenait en cachette le tour de traite de ses sœurs et se déguisait en fermier, plutôt qu’en infirmier, pour la fête de l’école.
Découvrez le dossier d’Entraid sur la question de la féminisation de l’agriculture en 2025
Fermier plutôt qu’infirmier
Au milieu de ses deux sœurs, Jonathan était à bonne école. Mais leurs parents imaginaient davantage une reprise familiale traditionnelle, par l’une des deux. C’est à elles que leur mère a transmis les savoir-faire sur les travaux des champs, la surveillance des bêtes, comment tenir tête aux commerciales et aux conseillères.
Leur père, qui fait la compta le soir en plus de son travail de maître d’école, leur a appris comment écrire, lire les comptes et gérer une exploitation avec rigueur.
Finalement, ses sœurs ont fait des études, n’ont pas le goût pour reprendre la ferme. Jonathan a passé un petit diplôme de comptabilité (l’objectif secret de sa grand-mère : qu’il y trouve une femme qui gagne bien sa vie pendant ses études). Il y a bien rencontré Charlotte, la seule fille de sa promo, il a passé son diplôme comme prévu… mais il a aussi envie de reprendre la ferme, puisque personne d’autre n’en veut.
Surprise des parents (ce n’était pas prévu !) « Mais tu es sûr… ? C’est quand même très technique comme métier… ? Heureusement, il y a Charlotte, pour les coups durs… » Même si Charlotte travaille « à l’extérieur ».
Coops, banques, mais aussi assurances, on lui conseille de tout faire au plus simple, de prendre le moins de décisions possibles. Par défaut, tout est au nom de sa femme. « C’est mon entreprise, leur rétorque Jonathan : « c’est moi qui achète et qui vend ». « Bon, ne vous énervez pas… vous avez un problème de testostérone ? », lui répond une agente.
« Mais quel emmerdeur ! »
Jonathan reçoit un bon accueil à la cuma des Joyeuses Luronnes. Les adhérentes en font même un peu trop pour essayer d’être sympa : « Tu nous fais un petit compte-rendu ? Tu t’occupes de la trésorerie ? Ou de la commission « convivialité » ? »
Première stratégie : se fondre dans le groupe, faire valoir ses compétences de base, la compta. Un jour, Jonathan finit par soulever des questions techniques : « est-ce que c’est bien raisonnable d’acheter une deuxième bineuse, sachant qu’on a trop peu d’engagements pour l’amortir ? » Stupeur. Puis ça rigole « Mais quel emmerdeur ! T’inquiète, on les aura, les surfaces…, on les a toujours ! » s’esclaffe la présidente.
Jonathan vérifie les chiffres : « c’est risqué quand même ! » Elles rigolent : « Ah bah voilà ! une fois que les hommes ont les cordons de la bourse, on n’est pas rendues ! »‘
Cette fiction, à prendre au second degré, a été librement inspirée de « Jacky et le Royaume des filles », de Riad Sattouf.
Dézoom : dans quel monde vit Jonathan ?
Dans ce monde imaginaire, les travaux agricoles, requérant technicité et polyvalence, sont dévolus aux femmes, jugées (à tort ou à raison) plus aptes à s’adapter à des situations changeantes. Dans ce monde, on considère que la capacité à créer, utiliser des outils et à résoudre des problèmes est typiquement féminine. Elles savent aussi crier pour s’imposer quand il le faut. Dans ce monde-là, les hommes, jugés plus « monotâches », sont cantonnés à des travaux jugés annexes, et moins valorisés, comme la comptabilité, les métiers du « care », ou le fait d’élever les enfants. Les travaux des champs, les machines, les pannes, les changements de météo, les chantiers chaotiques, les cours et marchés, la réglementation… ce n’est pas pour eux. Ils s’en tiennent souvent à une réserve « toute masculine ».