« Il ne faut pas oublier la nourriture du sol »

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« Il ne faut pas oublier la nourriture du sol »

« Il ne faut pas vouloir être idéaliste ou dogmatique. On ne fera jamais de l’agriculture sans impact", estime Frédéric Thomas, agronome et agriculteur.

Frédéric Thomas, expert reconnu dans son domaine, est venu initier et former les agriculteurs des Hauts-de-France à l’agriculture de conservation des sols. Une journée organisée par la frcuma Hauts-de-France à Beauvoir-Wavans.

C’est entre deux averses que Frédéric Thomas, agriculteur et agronome chevronné de l’agriculture de conservation des sols, est venu dans une parcelle de grandes cultures apporter quelques connaissances aux agriculteurs des Hauts-de-France. Le profil cultural de la parcelle est passé à la loupe sans oublier de rappeler quelques leçons d’agronomie.

Profondeur, aubaine ou malchance ?

« Le potentiel du sol est défini avant tout par sa profondeur, lance-t-il depuis le terrain qu’il analyse ce jour-là. Ici, avec une telle profondeur, la possibilité d’avoir de bons rendements est déjà acquise. C’est une chance, car cela laisse de la place aux organismes du sol pour se déplacer et aussi aux racines de s’infiltrer. »

Une chance ? Pas toujours. Les agriculteurs, qui se trouvent dans cette configuration, peuvent être tentés par des pratiques plus agressives. Manque de matière organique, sols tassés, battance et perte de la fertilité sont alors être conséquents. Il est temps de penser au sol dans son épaisseur.

Effluents en engrais

Mais rien n’est irréversible selon l’agronome breton. Pour rendre au sol tout son potentiel, il préconise d’apporter de la matière organique aux sols. Que ce soit grâce à la biomasse des couverts ou aux effluents d’élevage. Ces derniers sont « les meilleurs engrais au monde, lance-t-il. Il faut arrêter de s’en débarrasser. »

Plus que ça, Frédéric Thomas s’amuse à répéter « Faut pas oublier la bouffe ! » et incite les agriculteurs à devenir “éleveur”. « Le sol, c’est comme une vache, il faut lui donner à manger si on veut qu’elle produise, métaphorise-t-il. Pour cela, il faut respecter les rations et apporter de la matière organique en continue. L’idéal est d’avoir un couvert végétal permanent et d’apporter du fumier tous les ans au lieu de tous les trois ans par exemple. »

À bas les dogmes

Cependant, « il ne faut pas être idéaliste ou dogmatique, rappelle-t-il. On ne fera jamais de l’agriculture sans impact, mais nous devons rester attentifs à notre environnement. » Bien souvent, comme le sol étudié ce matin-là, c’est la zone intermédiaire qui souffre le plus. Le sol travaillé ou qui accueille les plantes à la surface profite des racines ou des outils pour permettre l’infiltration de l’eau et des racines.

Mais les éléments peuvent se retrouver confrontés à une semelle de labour plus difficile à pénétrer. « Là, les fissurateurs ne sont que peu efficaces, fait remarquer l’agronome. Le couvert permanent va permettre à cet horizon de s’ouvrir, mais cela demande beaucoup de temps. D’autant que les couverts végétaux doivent être semés tôt si on veut profiter de leurs bienfaits. Que ce soit dans la fixation de l’azote, la fissuration ou l’apport de biomasse. Pour redonner vie à son sol, il faut compter vingt-cinq ans, alors autant s’y mettre dès maintenant. »

Adoucir ses pratiques

Dans le dernier horizon, on remarque que l’activité anécique permet l’activité du sol et le développement des racines qui arriveront jusque-là. Une fois le constat posé, différentes méthodes visent à réduire cette compaction. Toutefois, cela demande un peu de temps et de préparation.

« Il faut arrêter d’être agressifs avec nos sols, répète Frédéric Thomas. Il faut aussi gagner en agilité en échangeant avec ses pairs, en observant, en essayant, tout en ajoutant des intrants aux sols. Sortons des idéaux, rendons les sols plus vivants. Cela rendra l’agriculture plus résiliente face aux changements qui se profilent et c’est aussi le rôle de l’agriculture d’apporter davantage de fertilité aux sols. »

Cela passe, selon lui, par une réduction du travail du sol qui est indéniable. « Quand on travaille le sol, on favorise la minéralisation, explique l’expert. À court terme, c’est bien pour les plantes mais à long terme, les réserves s’amenuisent. Sans parler de l’érosion et l’infiltration de l’eau impossible dans la parcelle. »

Sol nourri, tout devient possible

Pour Frédéric Thomas, nous passons beaucoup de temps à travailler les sols, à créer un environnement favorable à la levée des graines. Mais la clé, c’est d’avoir des sols fertiles pour travailler le moins possible sa parcelle et de créer un écosystème favorable à la levée, uniquement autour de la graine. « Pour y parvenir, le sol doit bien fonctionner. Si on gère bien l’alimentation du sol, tout va mieux se passer. »

La couverture du sol est l’un des piliers de l’agriculture de conservation. Une culture à part entière selon l’expert, elle doit être réfléchie sérieusement.

« La monoculture est à bannir que ce soit pour les cultures de vente ou d’interculture, précise Frédéric Thomas. Si les légumineuses sont attrayantes, il ne faut pas oublier qu’elles ne sont pas totalement autonomes en azote et qu’elles peuvent appauvrir les sols pour certaines espèces. »

Quant à  la destruction des couverts, si le glyphosate est sur la sellette, le mulchage présente a priori à peu près les mêmes effets. « Le broutage des intercultures restent la meilleure solution, assure-t-il. Les animaux sont les meilleurs valorisateurs de la matière organique. Ce sont des machines à azote ! »

Il est donc important d’aller chercher l’azote nécessaire à la vie du sol grâce aux couverts et aux rotations. « Lorsqu’on arrive à avoir un niveau de fertilité très haut, il n’est pas impensable d’occasionnellement d’implanter des cultures plus impactantes sur le sol, avec un sol bien nourri, tout va mieux », aime-t-il rappeler.

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