Laure Théron, la laine en héritage

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Laure Théron, la laine en héritage

Laure Théron guide les brebis vers les pâtures. (©Juliette Guérit)

Éleveuse de brebis lacaunes en AOP Roquefort, Laure Théron s'engage pour une meilleure rémunération des producteurs et la valorisation d'un coproduit trop souvent délaissé : la laine. Lauréate de la bourse Nuffield, elle a parcouru la France et l'Océanie sur les traces des filières lainières locales et internationales.

À Arvieu, au cœur de l’Aveyron, la famille de Laure Théron élève des brebis lacaunes depuis quatre générations. À 35 ans, elle perpétue cette tradition en s’occupant de 400 laitières. Nous la rencontrons à la fin du mois de juin, alors que la période de traite touche à sa fin. En ce début d’été, la chaleur est écrasante sur le plateau du Lévézou. Il faudra attendre le début de soirée pour sortir les brebis.

« C’est une région propice à l’élevage, car les animaux permettent de valoriser les travers », explique Laure Théron en guidant le troupeau vers les pâturages. Sa ferme culmine à 750 mètres d’altitude. « Dans la région, les bergers ont toujours travaillé au rythme des saisons. Les hivers étaient longs, avec beaucoup de neige. La lactation des brebis correspondait aux mois passés à la bergerie », raconte-t-elle.

L’éleveuse baigne dans cet environnement depuis sa plus tendre enfance. « Plus jeune, j’aidais mon père. Pourtant, je ne m’imaginais pas devenir agricultrice », confie-t-elle. Après le bac, elle s’oriente vers des études scientifiques et décroche un master en biotechnologies à l’Université de Toulouse. Une fois son diplôme en poche, elle s’interroge sur ses envies professionnelles et commence à travailler comme salariée sur la ferme familiale. « Ce n’était pas évident au début, je n’avais aucune formation agricole », se souvient-elle.

Alors, à 25 ans, elle s’envole vers la Nouvelle-Zélande avec un visa ‘vacances-travail’ pour faire du woofing dans plusieurs fermes. « Je travaillais quelques heures par jour en échange du gîte et du couvert. Ça a été hyper formateur. » La jeune femme rentre en France au bout de six mois, bien décidée à s’installer comme agricultrice. Elle passe un BPREA (Brevet professionnel responsable d’entreprise agricole), puis entame un parcours d’installation.

« Bien s’entourer »

C’est finalement en 2020, au moment du départ en retraite de son père, que Laure Théron s’installe officiellement en polyculture-élevage. Elle produit l’alimentation de son troupeau sur 90 ha (enrubannés, foins, pâtures et céréales). « J’essaye de déléguer un maximum la partie cultures à de la main-d’œuvre salariée ou à des entreprises de travaux agricoles », explique-t-elle. À son arrivée à la tête de la ferme familiale, elle investit dans du matériel de fenaison « pour du fourrage de qualité et une production de lait optimale ». Le reste des machines est, en grande partie, loué auprès de la cuma d’Arvieu : épandeur à fumier, charrue, vis à grains, bétaillère…

Pour l’assolement des terres, elle est conseillée par Unotec, une association regroupant la chambre d’agriculture de l’Aveyron et la coopérative Ovitest, premier centre français d’insémination ovine. Cette dernière assure également l’insémination artificielle des brebis après la saison de traite. « Il est important de bien s’entourer », souligne Laure Théron.

Sa ferme fait partie des 1 300 élevages de l’AOP Roquefort, qui fête ses 100 ans en 2025. Cet héritage, l’Aveyronnaise en est fière : « Même à l’autre bout du monde, les gens connaissent le roquefort, c’est super valorisant. Il y a toute une histoire derrière, tout un savoir-faire des éleveurs. »

Les 155 000 l de lait produits chaque année par ses brebis sont collectés par le fromager Papillon (groupe Savencia). Laure Théron siège au conseil d’administration de l’organisation de producteurs qui rassemble 120 éleveurs sous contrat avec l’industriel. « Ça me tient à cœur de défendre les producteurs, le prix du lait et nos droits », affirme-t-elle.

Redonner de la valeur à la laine

Si le lait des brebis lacaunes jouit d’une très bonne réputation, il n’en va pas de même pour leur laine. Néanmoins, les bêtes sont tondues chaque année au mois de mars. « C’est indispensable pour leur bien-être, explique Laure Théron, mais la lacaune n’a pas été sélectionnée pour sa laine et une toison ne dépasse pas 1 kg. »

En 2020, l’année de son installation, la crise du Covid-19 met un coup d’arrêt à la collecte de la laine. « La laine était exportée vers la Chine et nous nous sommes retrouvés sans marché. Les ballots ont commencé à s’entasser dans les fermes », raconte-t-elle. Depuis plusieurs années déjà, les toisons ne rapportaient plus rien. Le prix d’achat ne couvre bien souvent pas le prix de la tonte. « Les éleveurs en viennent presque à considérer la laine comme un déchet, alors que, dans notre région, la culture est plutôt de valoriser toutes les ressources. Nos grands-parents s’en servaient pour rembourrer les matelas, par exemple », poursuit-elle.

Candidature à la bourse Nuffield

Laure Théron a alors l’idée de candidater à la bourse Nuffield pour travailler sur la valorisation de la laine des 630 000 brebis lacaunes de la zone de production du roquefort. Elle la remporte en 2023, avec un financement de 12 000 € de la Confédération nationale de l’élevage (CNE).

« Autrefois, il y avait une filature dans chaque village. Ce savoir-faire s’est perdu avec l’arrivée des fibres synthétiques issues de la pétrochimie », retrace la lauréate. Certaines entreprises textiles françaises utilisent toujours de la laine. Cependant, la matière première est souvent importée, car moins chère et plus homogène. « Nous avons une soixantaine de races de moutons en France, avec des laines aux caractéristiques très différentes », soulève Laure Théron. Autre frein au développement de filières nationales : la disparition des usines permettant de laver la laine, seuls quelques petits ateliers subsistent.

Pour autant des initiatives renaissent dans les territoires (voir encadré). « Rien que dans mon département, j’ai découvert qu’on faisait des paillages, des engrais et de la matelasserie avec de la laine locale », souligne l’éleveuse aveyronnaise.

« Un tas de propriétés intéressantes »

Textile, fertilisation, cosmétiques, isolation des bâtiments… Les débouchés sont nombreux. « La laine a tout un tas de propriétés intéressantes. Cette ressource locale, durable et naturelle, a toute sa place dans l’agriculture et le monde de demain qui devront faire face au changement climatique », déclare-t-elle.

Reste à recréer une culture lainière en France. Dans cette optique, Laure Théron est allée à la rencontre des éleveurs de moutons de race mérinos en Australie. Elle séjourne en Nouvelle-Galles du Sud, près de Sydney, principale région productrice du pays. « Je voulais comprendre comment structurer une filière, explique-t-elle. Là-bas, les animaux sont sélectionnés à la fois pour leur viande et pour leur laine. Les hangars sont pensés pour faciliter la tonte, tout est optimisé ». À titre de comparaison, l’Australie produit quelque 300 000 tonnes de laine par an, contre environ 10 000 tonnes en France.

Pour autant, le modèle australien a ses limites. Faute de capacité de transformation sur place, la laine est exportée en masse vers la Chine sur d’énormes cargos. Les futures filières françaises pourraient davantage s’inspirer de la Nouvelle-Zélande, dernière destination du périple de Laure Théron. Le pays du mouton par excellence a su conserver une industrie locale et développe des projets de recherche pour trouver de nouveaux débouchés à cette matière première abondante.

Retour en France, en 2025, où tout – ou presque – reste à construire. Après cinq ans sans acheteur, Laure Théron est parvenue à vendre 600 kg de laine à un négociant pour 10 centimes le kilo, soit 60 € au total… « Il n’y a aucune transparence, je ne sais même pas ce que la laine va devenir », lâche-t-elle. L’éleveuse ne se fait pas trop d’illusions : sa laine sera très certainement exportée, comme 80 % de la production française.

La bourse Nuffield, « un réseau extraordinaire »

Lauréate en 2023 de la bourse Nuffield, Laure Théron a eu l’occasion de rencontrer des agriculteurs du monde entier. « C’est une mise en réseau extraordinaire », assure l’éleveuse de brebis lacaunes. « J’encourage tous les agriculteurs, et en particulier les éleveurs, à se renseigner et à postuler si un sujet leur tient à cœur », poursuit-elle. Son parcours a commencé par une semaine de conférences avec tous les lauréats à Vancouver au Canada. « C’est une semaine très intense où tout se déroule en anglais », raconte-t-elle. Elle parcourt ensuite la France, puis l’Australie et la Nouvelle-Zélande sur les traces des filières de production et de transformation de la laine. « Mon objectif était de comprendre quelles sont les valorisations possibles pour la laine des brebis lacaunes », indique-t-elle. L’Aveyronnaise a également reçu des lauréats australiens et irlandais chez elle. À l’avenir, elle souhaite continuer à faire découvrir la filière roquefort à des agriculteurs du monde entier.

De multiples initiatives en France

Première étape du périple lainier de Laure Théron : la filature Colbert à Camarès, dans le sud de l’Aveyron. Inaugurée en 2023, elle travaille exclusivement avec de la laine de brebis lacaune qu’elle transforme en paillages, principalement pour l’horticulture. En mai dernier, la filature a également obtenu l’autorisation de commercialiser un isolant pour les bâtiments.

Laure Théron fait aussi la rencontre des frères Vincent et Pierre-Marin Fabry de la société Fertilaine qui développent un engrais avec de la laine de mouton. « La laine a énormément de propriétés, dont celle d’être riche en azote », explique l’éleveuse. Toujours dans le département, elle visite l’atelier de Guillaume Jouin qui fabrique des matelas en laine à Marcillac-Vallon, au nord de Rodez.

Ses visites se poursuivent en dehors du territoire du roquefort avec une virée à la Cité internationale de la tapisserie à Aubusson dans la Creuse, puis elle se rend en Haute-Loire, au lavage du Gévaudan, dernier lavage de laine semi-industriel en France. Elle fait aussi un arrêt aux Ateliers des Bruyères qui valorisent de la laine dans le cadre d’une démarche d’insertion professionnelle. Enfin, elle visite plusieurs entreprises dans la région de Lourdes, en lien avec le collectif Tricolor qui milite pour recréer des filières en France.

Pourquoi ce sujet ?

Lauréate de la bourse Nuffield en 2023, Laure Théron défend une juste rémunération des producteurs de lait de brebis. Ses travaux explorent les solutions pour permettre aux éleveurs de valoriser la laine et ainsi changer de regard sur ce coproduit, aujourd’hui perçu comme un déchet. Fière de son héritage, elle contribue à faire découvrir la filière roquefort à l’international.

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