Les surprises de l’étude AgriTempo sur le temps de travail des agriculteurs

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Les surprises de l’étude AgriTempo sur le temps de travail des agriculteurs

La notion de "travail" n'est pas le même pour tous, met en avant l'étude AgriTempo. Crédit: Vaderstadt

Le temps de travail des agriculteurs évolue-t-il, avec l'arrivée de nouveaux profils? C'est la question à laquelle tente de répondre l'étude AgriTempo. Les réponses sont surprenantes.

L’étude AgriTempo examine le rapport au temps et au travail des agriculteurs. Elle révèle des dynamiques surprenantes, loin des clichés.

Originalité de l’étude sur le temps de travail des agriculteurs

Les « nouveaux actifs agricoles » (ceux non issus du milieu agricole) vont-ils révolutionner les méthodes de travail ? Ils pourraient importer des normes issues du salariat : horaires fixes, week-ends libérés, vacances. Cela impliquerait un refus de « tout sacrifier à leur exploitation ». Cependant, de précédentes recherches suggéraient déjà le contraire. Elles indiquaient que les contraintes du travail agricole finissent par s’imposer, peu importe l’origine.

Le projet AgriTempo a cherché à vérifier ces dynamiques. Il a couvert différents types de productions, allant au-delà de la simple opposition entre « nouveaux venus » et « héritiers ».

Simon Paye (Tetras, Université de Lorraine) Nicolas Deffontaines et Estelle Smessaert (Curapp-Ess, Université Picardie Jules Verne) ont voulu comprendre comment les manières d’organiser le quotidien se forment concrètement. Le projet a pris en compte l’héritage familial, le parcours scolaire ou les expériences professionnelles extra-agricoles.

L’objectif n’était pas de juger si les agriculteurs travaillent « comme les autres professions ». Il s’agissait de cerner leurs propres catégories de perception du travail et du temps.

Aperçu de la méthodologie

L’étude a combiné plusieurs approches.

L’équipe a envoyé un grand questionnaire à des milliers d’éleveurs bovin lait, caprins et maraîchers. Ils se situaient à travers la France métropolitaine.

Les chercheurs ont choisi ces productions pour leurs spécificités. L’élevage bovin lait, par exemple, est connu pour ses volumes horaires élevés et son faible recours au salariat. Le maraîchage et l’élevage caprin sont plus exigeants en main-d’œuvre et plus féminisés.

Le questionnaire posait des questions sur l’organisation du travail, les heures passées, la vie quotidienne et le profil des agriculteurs.

Les méthodes de passation ont eu une influence. Les questionnaires papier ont permis de toucher plus facilement les agriculteurs plus âgés ou moins diplômés. Ils fournissaient souvent des données plus riches que les réponses en ligne.

En complément, de nombreux entretiens approfondis ont été menés. Ils ont inclus des membres de la « maisonnée exploitante » (agriculteurs, conjoints, parents, salariés). Ces entretiens visaient à comprendre l’articulation concrète des temps professionnels et personnels.

Ces entretiens ont également servi à affiner le vocabulaire des questionnaires. Cela a permis qu’il « parle » mieux aux agriculteurs.

Principaux résultats : travailler ou « travaillouner » ?

‘ »Il y a un inconfort à évaluer la durée du temps de travail » chez les agriculteurs interrogés, a indiqué Simon paye lors d’une Conférence de restitution organisée par le Centre d’études et de prospectives du ministère de l’Agriculture de la Souveraineté alimentaire. « Il s’agit d’une notion très « salariale », pas forcément appréhendée par tous les répondants, a-t-il précisé.

« Ce qui prévaut, c’est une approche en termes de tâches », a souligné le chercheur. Les agriculteurs décrivent souvent leur journée en termes de « tâches », et de « bon moment » plutôt qu’en heures fixes. Le « bon moment », souvent dicté par la météo ou le rythme des animaux (l’« astreinte »), est primordial. Ceci explique les longues journées pendant les moissons, par exemple, où le travail continue « tant que le travail n’est pas fini ».

De plus, la notion de travail n’est clairement pas la même pour tous : certains voient le travail comme le fait d' »être dehors » ou « productif », minimisant le travail administratif.

Confrontés à la porosité entre vie privée et professionnelle (comme le bûcheronnage pour le chauffage domestique avec du matériel agricole), certains répondants inventent des termes comme « travaillouner » pour des activités hybrides. Beaucoup associent l’agriculture à une « passion » et affirment qu’ils « ne comptent pas leurs heures ».

L’essentiel : une activité professionnelle chronophage pour toutes et tous

La norme de travail « extensif » est très partagé. Une grande majorité des agriculteurs travaille longtemps (moyenne d’environ 66 heures par semaine). La moitié déclare travailler 70 heures ou plus. Seulement 4 % travaillent 35 heures ou moins. Cette norme est forte, quel que soit le type de production. Les maraîchers travaillent en moyenne un peu moins (55-60 heures) que les éleveurs (65-70 heures). L’astreinte animale est plus forte en élevage.

L’origine sociale a un effet limité, surtout en élevage. Les nouveaux agriculteurs (Nima) travaillent en moyenne 7 heures de moins que ceux issus de familles agricoles. Cette différence est surtout marquée en maraîchage. En élevage, les contraintes liées aux animaux semblent gommer les différences d’origine sociale. Au final, les caractéristiques des exploitations (taille, diversification) et les propriétés sociales (sexe, diplôme) expliquent davantage les variations que la seule origine familiale.

Les chercheurs ont observé un rôle crucial du genre et du diplôme. Les femmes déclarent travailler en moyenne 6 h 20 de moins que les hommes. Elles sont aussi plus souvent diplômées et ont plus d’expériences salariées. Les agriculteurs et agricultrices avec un diplôme supérieur (Bac+3 et plus) déclarent travailler environ cinq heures de moins par semaine que les moins diplômés Globalement, plus l’éloignement des mondes salariaux par la socialisation (famille, école) est grand, plus le travail est extensif.

Les agriculteurs élus aux avant-postes de la maîtrise du temps de travail

Selon les résultats de l’étude AgriTempo, les agriculteurs engagés syndicalement ou au sein d’organisations professionnelles tendent à mieux concilier leur vie professionnelle et personnelle. Ils délèguent plus de tâches, emploient plus de salariés, et sont souvent mieux équipés (robots, plus grandes surfaces). Ceci leur permet de prendre plus de vacances et de se sentir moins « débordés » que les autres.

« Il n’y a pas de révolution dans la temporalité du travail agricole », a conclu Simon Paye. « La filière a davantage d’effet que l’origine de l’agriculteur. C’est finalement davantage l’activité qui façonne les pratiques et le temps de travail. Les Nima n’apportent pas grande nouveauté sur cet aspect ».

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