L’intégration nouveaux agriculteurs : un sujet clé. Car comprendre qui s’installe aujourd’hui est devenu un enjeu majeur pour l’avenir de l’agriculture française et européenne. Ce au vu de la baisse de la démographie agricole et de la baisse du nombre d’installations.
Un tiers des cessations d’activité remplacées
Entre 2010 et 2020, le nombre d’exploitations a diminué de plus de 20%, et seulement deux tiers des cessations d’activité sont compensées par de nouvelles installations.
Dans ce contexte, la part des installations hors cadre familial (« HCF ») est en progression constante. Elle représente 39% des installations entre 2011 et 2020.
Parmi ces nouveaux installés, les personnes non issues du milieu agricole (« Nima ») sont désormais majoritaires dans les projets accueillis en Points Accueil Installation (PAI) des Chambres d’agriculture.
Ce qu’apporte l’étude RenouvAgri
L’étude RenouvAgri apporte un éclairage inédit et nuancé sur ces nouvelles générations d’agriculteurs. Elle s’attache à comprendre l’hétérogénéité des profils Nima, en révélant la diversité de leurs trajectoires de vie.
Son originalité réside dans son approche qualitative approfondie. Elle vise à comprendre comment ces parcours biographiques influencent non seulement l’installation, mais aussi les modèles agricoles adoptés. Sans oublier l’intégration au sein du groupe professionnel local. Elle cherche à déterminer si ces dynamiques de renouvellement peuvent favoriser une évolution des modèles agricoles vers l’agroécologie.
L’étude RenouvAgri a été réalisée par Daniele Inda (Inrae – Ettis), Benoît Coquart (Inrae – Cesaer) et Yannick Sencebé (Institut Agro Dijon – Ceasaer).
Topo sur la méthodologie
L’étude a privilégié une enquête ethnographique. Elle a combiné entretiens et observations, principalement menée dans le département de la Nièvre et le Morvan. Initialement prévue pour suivre une cohorte de porteurs de projets, la méthodologie a été révisée. Elle a ainsi permis de réaliser une analyse rétrospective des trajectoires auprès d’agriculteurs et agricultrices déjà installés.
Au total, 46 entretiens semi-directifs d’une durée d’1 h 30 à 3 h 30 ont été réalisés. Ils ont couvert les parcours biographiques, les conceptions de l’agriculture, les systèmes d’exploitation et l’intégration locale.
Le recrutement par « boule de neige », complété par des listes des Chambres d’agriculture, a conduit à une surreprésentation des Nima issus des classes moyennes et supérieures. Mais aussi de ceux pratiquant l’agriculture biologique ou la vente en circuit court.
Principaux résultats
Les premiers résultats de l’étude RenouvAgri confirment la forte hétérogénéité des profils Nima. Ces nouveaux agriculteurs proviennent de toutes les fractions des classes populaires, moyennes et supérieures. Ils ont exercé une grande variété de métiers avant de s’installer.
L’étude a identifié quatre grandes catégories de trajectoires d’entrée en agriculture.
Intégration des nouveaux agriculteurs : les précoces, ceux qui « sortent », mobilités ascendantes ou descendantes
Les intégrations des nouveaux agriculteurs aujourd’hui se font par :
- Les trajectoires de déclassement social (10 personnes). Ces individus sont souvent issus des classes moyennes ou supérieures avec un capital culturel important. Ils ont connu des parcours scolaires ou professionnels précaires. L’agriculture représente pour eux une opportunité de reclassement et de trouver une activité en adéquation avec leurs aspirations. Lesquelles sont souvent liées à des engagements militants ou communautaires ;
- Les trajectoires d’exit professionnel (14 personnes). Majoritairement issus des classes supérieures, ces agriculteurs avaient des carrières stables et bien rémunérées. Leur reconversion est motivée par un désenchantement vis-à-vis de leur ancienne profession. Mais aussi la recherche d’un meilleur équilibre vie pro/perso, même au prix d’une perte de revenus significative ;
- Les mobilités sociales ascendantes ou horizontales (7 personnes). Originaires des classes populaires ou indépendantes, ces individus trouvent dans l’agriculture une opportunité d’accéder au statut d’indépendant. Et de gagner en autonomie et d’améliorer leur équilibre vie professionnelle et familiale. Ils sont souvent bien ancrés localement ;
- Les vocations agricoles précoces (10 personnes). Ces individus ont développé un intérêt pour l’agriculture dès l’enfance ou l’adolescence. C’est souvent du fait d’une socialisation précoce au travail agricole (fermes voisines, séjours ruraux). Ils ont généralement suivi des études agricoles et travaillé comme salariés agricoles, leur installation étant la concrétisation d’un projet de longue date.
Qui s’installe comment ? L’intégration des nouveaux agriculteurs déterminante
L’accès au foncier et financement constitue un défi majeur pour la quasi-totalité des Nima, malgré des prix plus favorables localement. Le capital économique initial est très inégal, les « exits professionnels » disposant souvent d’économies importantes, contrairement à d’autres qui peinent à accéder au crédit pour leurs projets « atypiques ».
La majorité des NIMA s’orientent vers des systèmes « atypiques » pour la région : de petite taille, souvent en agriculture biologique, avec transformation et vente en circuit court. Pour les Nima en « déclassement » ou « exit professionnel », ce choix est une démarche « alternative » assumée et idéologique, marquée par une sensibilité environnementale et une critique des modèles conventionnels. Pour d’autres, notamment ceux issus de « mobilité ascendante » ou avec une « vocation précoce », ce choix est davantage une adaptation pragmatique aux contraintes économiques.
L’intégration au groupe de professionnels locaux est contrastée. Les Nima avec une « vocation agricole précoce » ou en « mobilité ascendante » s’intègrent généralement bien, grâce à leur proximité avec les agriculteurs établis et leur adhésion aux organisations professionnelles classiques.
En revanche, les Nima en « déclassement » ou « exit professionnel » rencontrent souvent des difficultés d’intégration, leurs conceptions « alternatives » générant des tensions et un repli sur un « entre-soi néorural ». Cependant, une minorité de ces derniers parvient à mieux s’intégrer grâce à une posture plus souple envers les pratiques conventionnelles.
L’étude RenouvAgri met en lumière la complexité du renouvellement agricole, soulignant que la capacité des nouveaux agriculteurs à transformer les modèles existants dépendra fortement de la réussite de leur intégration et de la fluidité des échanges avec les agriculteurs établis.
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