Thierry Pouch est responsable du Service études économiques et prospective de Chambres d’agriculture France, mais aussi chercheur associé au Laboratoire Regards de l’Université de Reims Champagne Ardenne. Il a répondu aux questions d’Entraid Médias sur l’accord commercial qui se profile entre l’Union européenne (UE) et les États-Unis.
Quels sont les produits agricoles et alimentaires les plus « à risque » dans ce projet d’accord commercial entre l’UE et les États-Unis ?
Tous les produits agricoles et alimentaires vont être concernés par un taux de droits de douanes à 15 %, sauf les vins, produit pour lequel les négociations sont encore en cours, et spiritueux, qui bénéficient en l’état actuel d’une exemption. Mais sur lesquels il pourrait y avoir un revirement. Il faut encore attendre pour ces dernières catégories.
Pour le reste, le taux de 15 % s’applique. Cela sera notamment le cas pour les produits laitiers, sauf ceux au lait cru qui souffrent déjà d’une interdiction sanitaire. Et puis j’ajouterai une autre catégorie de produits qui avait fortement pénétré le marché américain ces dernières années : les produits de la boulangerie qui dégagent à peu près 700 à 800 millions d’euros d’excédent commercial chaque année. Eux aussi sont concernés par cette taxe de 15 %.
Les droits de douane appliqués par les États-Unis pourraient également affecter les plantes à parfum, aromatiques et médicinales (PPAM). Le marché américain est une destination privilégiée des producteurs, notamment du sud de la France. Il constitue le premier marché pour les huiles essentielles françaises, les sucs et extraits de végétaux. Ce sont plusieurs dizaines de millions d’euros et des emplois qui sont en jeu pour la France.
Accord commercial UE – États-Unis, quelles conséquences ?
Il y a deux façons de voir les choses. Soit, on considère que c’est un triplement de la taxe qui atteignait en moyenne 4 à 5 % auparavant.
Certains observateurs considèrent que c’est un moindre mal et que 15 %, c’est la moitié des 30 % qui étaient prévus par l’administration Trump. On se souvient aussi de la menace de représailles du président Trump de taxer vins et spiritueux à 200 % en cas de réaction de l’Union européenne à ses propres droits, notamment sur le whisky (Bourbon).
Sachant qu’à ces droits de douane, il faut ajouter la très forte appréciation de l’euro par rapport au dollar qui va probablement alourdir la capacité des entreprises européennes à exporter et leur compétitivité. À 1,18$ pour un euro, on atteint 10 % à 12 % de plus rien que sur la parité monétaire. L’accord avec l’UE a toutefois eu comme impact direct une légère baisse de l’euro face au dollar, euro qui se situe à 1,16.
Quelle est la stratégie du président Trump et de son administration ?
On a basculé dans une guerre commerciale depuis l’élection de M. Trump et le Liberation Day (le 2 avril 2025, jour de l’annonce de la nouvelle politique commerciale de la deuxième administration Trump, ndlr). Il ne faut pas s’y tromper.
Au premier semestre 2025, le commerce extérieur agroalimentaire de la France s’est effondré. En mai, ça a été un déficit assez important de près de 450 millions d’euros, ce qui n’était jamais arrivé depuis 1978.
De l’autre côté, depuis le retour de Trump au pouvoir aux États-Unis, en janvier 2025, le Budget Lab de l’Université de Yale a comptabilisé les recettes douanières du pays, qui ont dépassé les 100 milliards de dollars, soit le double de l’année dernière. Le fruit de sa stratégie, qui a consisté à imposer des droits plus élevés que précédemment (et annoncé lors du Liberation Day, même s’il est revenu sur certains d’entre eux) lors des périodes de négociation.
Quelle est votre analyse ?
À long terme, cette politique commerciale n’est peut-être pas très favorable pour les États-Unis, plutôt un sursis.
L’administration Trump indique qu’elle souhaite « réindustrialiser » les États-Unis avec ces droits de douane élevés. Or l’économie américaine est majoritairement une économie de services.
Et le risque inflationniste est très présent, avec ces droits de douane élevés et un dollar faible. Au niveau mondial, la contestation contre l’hégémonie du dollar monte.
Mais il ne faut pas prendre Donald Trump pour un imbécile, il a une stratégie. Son adversaire, au final, c’est la Chine. Il affaiblit les autres acteurs, dont l’Union européenne et le Japon. Il se prépare à une guerre commerciale, voire militaire, avec la Chine. Mais à l’inverse de l’UE, la Chine reste ferme et offensive.
Dans ce contexte, quelle est la stratégie de l’Union européenne et de sa négociatrice en chef, la présidente Ursula Von der Leyen ?
Ursula von der Leyen, même si elle est présidente de l’Union européenne, est allemande. Elle a apporté des certitudes aux industriels européens, notamment allemands. Même si eux aussi seront affectés par l’augmentation de ces taux de douane.
L’étape suivante, pour elle, sera la ratification de cet accord au Parlement européen et par les Parlements des États-membres. Et c’est là que cela va devenir périlleux : si l’un d’entre eux refuse, elle joue son poste.
Que peut-il se passer pour les exploitations agricoles et les PME agroalimentaires européennes ?
Cela dépendra de leur taille, de leur rentabilité et de l’état de leur trésorerie.
Soit, elles sont dans l’incapacité à agir sur leurs taux de marge à l’exportation. Et donc, elles vont être obligées de trouver de nouveaux débouchés. Soit, elles sont en mesure d’abaisser leur marge à l’exportation et à ce moment-là, elles vont pouvoir continuer à exporter sur le marché américain.
Sur ce marché, cela va prendre quelques mois avant de mesurer précisément les comportements des consommateurs.
Vont-ils se détourner des produits européens, devenus trop chers, au bénéfice d’autres produits, américains par exemple ? C’est ce que cherche à faire Donald Trump.
Cela dépendra aussi certainement de la catégorie sociale. Les plus hauts revenus pourront absorber le surcoût, les autres non. L’élasticité-prix risque d’être plus ou moins forte selon les catégories sociales, selon le niveau de pouvoir d’achat.
Les défaillances d’entreprises européennes et françaises sont à craindre, elles pourraient s’amplifier, quel que soit le secteur.
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